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plus abordable et la témérité des tentatives destinées à dévoiler les plus impénétrables mystères[1] ». Or, en réalité, cette illusion s’est dissipée précisément à mesure même que du sein des faits étudiés par la science, ont surgi des généralités qui expliquaient d’une façon relativement plus complète que l’ancienne théologie, la nature intime des phénomènes et le mode essentiel de leur production. Les explications théologiques ont donc été, en ce sens, moins téméraires que les explications métaphysiques, et surtout que les explications scientifiques qui ont constamment frappé les esprits par leur simplicité audacieuse ; et on pourrait dire, de l’esprit humain, sans crainte d’être démenti par l’histoire, qu’il s’est toujours mis, à la longue, du côté où il voyait le plus de force alliée à la plus grande hardiesse.

Le second obstacle qui barra à Comte le chemin, toujours si ardu, de la vérité, et permit bientôt au positivisme de dégénérer en un agnosticisme vulgaire, fut la vieille thèse de l’identité finale de la science et de la philosophie que Comte s’efforce de nous montrer sous les couleurs d’une jeune et puissante vérité.

L’influence que cette idée erronée exerça sur l’ensemble et les différentes parties de la philosophie de Comte n’a jamais été appréciée à sa juste valeur. Avec Comte lui-même, on inclinait à voir dans la thèse de l’identité de la science et de la philosophie la grande nouveauté apportée au monde par le positivisme. Les uns la saluèrent comme la vérité la plus féconde du siècle, les autres n’y virent qu’un rêve irréalisable, une aspiration impossible à satisfaire ; mais personne ne s’avisa d’y reconnaître la très antique illusion, le vieux sophisme qui avait présidé aux destinées diverses de la métaphysique et qui fit même, en une certaine mesure, la fortune de la théologie.

Nous ne reviendrons pas ici sur un sujet que nous avons traité à fond dans une autre partie de ce livre Mais nous nous arrêterons quelques instants sur le tableau de la marche générale de la civilisation, que Comte nous peint à grands traits dans son célèbre Cours, et nous essayerons de faire voir que les principaux défauts de cette esquisse synoptique sont autant de conséquences nécessaires de la confusion dans laquelle Comte est tombé à l’égard des deux premiers termes de la série intellectuelle.

La théorie de Comte forme, dans ses lignes essentielles, le contre-pied absolu du schème que nous avons présenté quelques pages plus haut.

  1. Cours, résumé par Rig, II, p. 164.