qu’objective et qui, mille fois produite, avait mille fois passé sans être aperçue.
5o La conscience, par cela même, rend possible la classification au moyen des idées, résultat de la comparaison et de l’aperception des ressemblances. Supprimez la conscience, vous enlevez de l’univers, à vrai dire, la ressemblance : il restera bien des choses qui, si quelqu’un en avait conscience, seraient semblables ; mais, en dehors de toute conscience, chacune est ce qu’elle est à part de l’autre, mécaniquement liée à l’autre, non assimilée, comparée, jugée semblable. Et on en peut dire autant de la différence. La classification par les ressemblances et les différences est donc bien un phénomène de conscience : objectivement, les choses se rangent et s’ordonnent suivant des lois toutes différentes de ce que nous nommons identité ou diversité.
S’il en est ainsi, la classification au moyen des idées, en même temps qu’elle introduit une nouveauté dans le monde, n’a-t-elle pas aussi une action nouvelle, qui, sans la conscience, ne se produirait pas ? Quand nous aboutissons par exemple, à former des idées générales comme celles de Patrie, d’Humanité, d’Univers, n’y a-t-il là que des formules et des signes sans vie, sans action ? Agissons-nous de la même manière avec l’idée de l’Humanité ou de la Patrie que si nous n’avions pas cette idée ? Nullement. La classification des phénomènes et des êtres dans une conscience produit, comme telle, une réaction particulière qui n’aurait point lieu si l’être n’était pas parvenu à classer ainsi les choses. La connaissance des êtres et des types de la nature par notre intelligence réagit sur la nature même. En général, nos opérations intellectuelles, surtout le raisonnement, par la conscience même qui les accompagne et par les idées où elles aboutissent, constituent des facteurs nouveaux, liés sans doute à des mouvements cérébraux, mais où la conscience fait elle-même partie intégrante et agissante du processus sensori-moteur, au lieu d’être un résultat collatéral.
De même que la pensée généralise et classe, elle abstrait. Or, on a beau croire qu’une idée abstraite est sans force, c’est là une erreur. Chaque progrès dans l’abstrait est une économie de force ; par cela même, c’est un surcroît de force. « La pensée, dit Guyau, est comme l’algèbre du monde, et c’est cette algèbre qui a rendu possible la mécanique la plus complexe, qui a mis la plus haute puissance entre les mains de l’homme. » La pensée semble d’abord n’être que l’esquisse affaiblie des choses ; elle est mieux : elle en est l’idéalisation vivante, en voie de réalisation. Toute ligne nettement