tracée dans la conscience devient une direction possible dans l’action. « De telle sorte que la pensée abstraite, qui semble ce qu’il y a de plus étranger au domaine des forces vives, peut être cependant une très grande force sous certains rapports et même la force suprême, à condition qu’elle marque la ligne la plus droite et la moins résistante pour l’action. Les voies tracées dans le monde par la pensée sont comme ces larges percées qu’on aperçoit d’en haut à travers les grandes villes : elles semblent vides au premier abord, mais l’œil ne tarde pas à y découvrir le fourmillement de la vie : ce sont les artères mêmes de la ville, où passe la circulation la plus intense[1]. »
Toute idée abstraite ou générale enveloppe encore des images sensorielles et motrices, conséquemment une tendance au mouvement. Il n’y a point en nous d’idée absolument pure. Celle qui paraît la plus pure de toutes, c’est la pensée de la pensée même, à laquelle il semble qu’aucune image ne soit attachée. Cependant, il y a d’abord là l’image du mot pensée, qui est nécessaire pour rendre distincte l’idée de la pensée. De plus, la pensée de la pensée est toujours accompagnée de la cœnesthésie, d’un ensemble de sensations et sentiments infinitésimaux, dont l’agrégation forme cette sorte de son continu qui est le sentiment général de la vie. Il y a même là le sentiment plus particulier de la vie cérébrale, c’est-à-dire de l’action cérébrale inséparable de la pensée ; si nous ne localisons pas nettement nos pensées dans le cerveau, il y a cependant une masse confuse de sensations cérébrales qui accompagne l’exercice de la pensée et qui, en s’exagérant, produit une sensation de chaleur au cerveau. La méditation la plus abstraite est voisine du mal de tête, par la sensation sourde de calorique qui accompagne toute méditation intense. Bref, nous ne sommes point de purs esprits ni des anges, et nous avons beau penser notre pensée, ou la pensée de la pensée, nous avons toujours la perception vague : 1o de notre corps, alors même que nous n’y faisons pas attention ; 2o d’un travail cérébral qui est un travail mécanique. Enfin les idées les plus immatérielles, outre qu’elles enveloppent du mouvement dans leur conception même, dans les images et les mots qui les accompagnent, peuvent être encore des idées directrices de la volonté, des buts, des idéaux, par cela même, elles agissent comme des forces et tendent à leur propre réalisation.
Il y a même des mots-forces, comme il y a des idées-forces dont ils senties substituts et les symboles. « Dans la pensée actuelle, dit excel-
- ↑ Guyau, Éducation et Hérédité. (Conclusion.)