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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/302

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une sorte d’infinité nouvelle, celle de la durée, qui vient se révéler dans la conscience et par la conscience.

En même temps, le progrès devient possible, puisque le présent sert de point de départ pour un futur travail. Par elle-même, la série des phénomènes naissait et mourait à chaque instant, emportée en une vicissitude continuelle : aucun changement n’y pouvait être introduit que par une action extérieure ; en dehors de cette action, la série se serait répétée indéfiniment sans se modifier, sans savoir qu’elle se répétait et surtout sans savoir qu’elle pouvait être modifiée. Au contraire, introduisez la conscience ; aussitôt une perspective s’établit, un monde nouveau s’ouvre : celui du temps, semblable à une longue ligne fuyante sur laquelle les objets se disposent en un ordre régulier et où l’avenir prend la forme d’un progrès possible.

7o L’idée de la succession dans le temps amène celle de succession régulière ; nous remarquons non seulement des antécédents et des conséquents, mais les mêmes antécédents suivis des mêmes conséquents. De l’idée de succession régulière naît celle de causalité empirique ; la conscience est donc un moyen d’établir entre les phénomènes des liens de causalité.

Par là, elle nous dote nous-mêmes d’une causalité réfléchie. Devant un fait, nous concevons la possibilité du conséquent qu’il a amené ; de plus, comme la régularité apparente n’est pas complète dans nos états de conscience, nous arrivons à concevoir au même moment divers effets possibles. L’idée du possible naît ainsi en nous, et d’un possible pour nous incertain, ambigu. Or, un être qui a l’idée de lien causal dans le temps et qui projette dans l’avenir des possibles contraires, arrive nécessairement à se poser ce problème intérieur : — Si je réalisais celui-ci et non celui-là ? Si je choisissais ? Si j’intervenais par l’idée même que j’ai de l’avenir dans la production de cet avenir et, par conséquent, dans la causante universelle ? Si je faisais, comme l’aiguilleur du chemin de fer, dévier le train lancé dans telle direction vers une direction divergente ? — Supprimez la conscience, jamais cette divergence n’eût eu lieu. Nouvelle preuve que l’être conscient n’agit pas comme un être inconscient à qui on ajouterait un éclairage de luxe.

8o La conscience, grâce à toutes les actions qui précèdent, est une force de réaction qui, par la réflexion sur soi comme par l’attention au dehors, modifie le cours antérieur des choses. Si j’ai conscience d’un danger, je ne suis pas dans le même état que l’être