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A. FOUILLÉE.l’évolutionnisme des idées-forces

qui n’aurait point cette conscience, car l’idée même du danger devient un des facteurs de mes actes. Si j’ai conscience de la colère qui m’agite, je deviens par cela même capable de réagir contre ma colère.

La conscience est donc un moyen de direction. Le cerveau des mammifères est un organe d’équilibre instable où se manifestent des courants contraires ; quand il y a conflit et alternative, la conscience se produit et est intense ; de plus, l’idée de l’alternative devient elle-même un des éléments de la solution : la pensée des actions diverses et de leur valeur différente entre parmi les cause s directrices de ces actions. L’idée réagit même sur nos émotions profondes, dont elle ne fut d’abord que la conscience réfléchie, en leur donnant une détermination et un caractère défini, qu’il s’agisse des émotions intéressées ou des émotions désintéressées. En les spécifiant ainsi, elle les dirige. Par exemple, l’amour réfléchi de la patrie ou de l’humanité, en se concevant lui-même, en se distinguant spécifiquement d’autres amours, prend conscience de son but et du chemin qui y conduit. Or, ce qui modifie la direction d’une force pour la déterminer, la spécifier et la diriger, enveloppe aussi nécessairement quelque force, tout comme la digue d’un fleuve ou le frein d’une voiture. Les idées impliquent donc, au point de vue mental et cérébral, des forces directrices, parfois purement limitatives, comme quand elles se bornent à réfréner, parfois excitatives, comme quand elles poussent à l’action. Elles sont elles-mêmes des forces auxiliaires, c’est-à-dire qu’elles diminuent les résistances en imprimant aux forces nées des émotions la direction la plus favorable : si j’agis en sachant ce que je fais, je puis éviter les chocs, les rencontres, les frottements, les pertes de force vive.

9o La conscience est, par cela même, un moyen abréviatif, qui peut réduire énormément la durée de l’évolution et le nombre des coups de dés sur la table de l’universel hasard : « elle pipe les dés », ou plutôt elle regarde d’avance le dessous, le côté qu’il est nécessaire de faire paraître. Un navire abandonné sur la mer arrivera peut-être à New-York, après des siècles : il y arrivera directement et rapidement s’il y a sur ce navire un pilote, une carte et une boussole. La conscience, produit si complexe de la nature, est donc elle-même une simplification. Elle nous épargne la peine de repasser par tous les états nerveux successifs qui l’ont amenée et qu’elle résume ; elle est un abrégé de l’évolution qui permet une évolution ultérieure plus rapide.

10o La conscience, pour intervenir ainsi dans l’évolution, se sert