Serait-ce que la science ne donne pas pleine satisfaction à la pensée, qu’elle laisse d’importantes questions en suspens, qu’elle ne va pas aussi loin que l’intelligence et par conséquent ne suffit pas à son développement régulier ? Il y a longtemps qu’on le prétend, et l’argument n’a pas été abandonné dans les tentatives récentes en faveur de la métaphysique. M. Fouillée, par exemple, essaye de conserver la « notion de l’au-delà, du transcendant », comme « l’expression, en quelque sorte symbolique, de l’expérience même que nous avons de nos ignorances et des bornes indestructibles de notre savoir » ; et, à propos de « l’interrogation » métaphysique, il n’hésite pas à écrire : « le silence serait la mort même de la pensée ». À cela, les adversaires de la métaphysique opposent qu’à l’impossible nul n’est tenu, qu’il est sage de renoncer à un problème, même très intéressant, s’il est insoluble, et qu’en vérité il y a des problèmes insolubles. La réponse n’est pas sans valeur. Cependant, elle nous paraît trop modeste, non seulement pour l’esprit humain, mais encore pour la science. — Notre avis, c’est qu’il n’y a pas de véritables problèmes qui échappent à la science. Ceux qu’elle ne pourra jamais résoudre, ceux qui sont décidément réfractaires à ses procédés, et qu’on doit par cela même abandonner, ce sont des problèmes contradictoires, des pseudo-problèmes. La pensée, dûment consultée, ne les pose pas. Quant aux véritables problèmes, à ceux qui sont dictés par les lois mêmes de la pensée, ou qui ont un sens conformément à ces lois, ils sont tous du ressort de la science. Il y en a beaucoup, sans doute, qu’elle n’est pas actuellement en état de résoudre, et il y en aura toujours beaucoup de non résolus devant elle, mais il n’y en a pas qui la dépassent par la portée logique de leurs termes. Selon nous, par conséquent, la science phénoménale, la science des faits de conscience (encore une fois, il n’y en a point d’autre), suffit à la pensée comme elle se suffît à elle-même, répond à toutes nos aspirations théoriques, peut prétendre à l’explication progressive de tout ce qui doit être expliqué, et, s’il est légitime de la dépasser, ce n’est pas pour trouver dans la métaphysique un complément d’informations dont nous serions censés avoir besoin, c’est sous une influence et pour un bien d’ordre strictement pratique. Renvoyons à une autre étude la démonstration de la seconde partie de cette thèse, et répondons ici aux principales objections qu’on a faites et qu’on peut faire à la première partie.
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