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J. -J. GOURD.un vieil argument

au fond des choses, par cela même qu’elle n’étudie jamais qu’un fragment de l’univers ? C’est ce qu’a fait M. Fouillée. Il a montré, en particulier, que la science est toujours ou subjective, ou objective, et il en a conclu que quelque chose lui échappe nécessairement de la vivante réalité. « N’en déplaise aux idéalistes d’une part et aux matérialistes de l’autre, dit-il, le monde réel, c’est le monde à la fois objectif et subjectif, physique et mental, à moins qu’on ne nous mette nous-mêmes en dehors de la réalité universelle, qui alors ne sera plus universelle. » « De là la nécessité d’une étude supérieure qui ramène à l’unité l’expérience entière. » La métaphysique, qui fournit cette étude, est ainsi « la seule qui soit orientée vers la réalité même ». — Assurément, répondons-nous, une étude supérieure aux sciences particulières est nécessaire, mais cette étude n’est pas la métaphysique. Appelez-la science générale, ou philosophie générale, comme nous l’avons fait nous-même ailleurs, mais non métaphysique. Il y a une distinction importante sous cette distinction de mots. La philosophie générale, en effet, reste une véritable science ; elle ne se distingue des sciences particulières ni par sa méthode, ni par la nature fondamentale de son domaine ; c’est toujours dans le monde phénoménal qu’elle doit s’enfermer. Nous l’avons définie l’étude des dernières diversités de l’expérience. Étant données les réductions supérieures des sciences particulières, elle a pour tâche d’abord d’en dégager l’unité, puis d’en définir les caractères particuliers en partant de cette unité même ; par exemple, étant donnée l’opposition du psychique et du physique, qui résume à un certain point de vue le travail abstractionnel des sciences particulières, la philosophie générale doit en chercher la conciliation dans une unité supérieure, l’unité abstraite de la conscience, et marquer ensuite ce que chacun des deux termes représente de propre dans la conscience. En tout cela, elle ne fait que prolonger ou que précéder les opérations des sciences particulières, sans sortir à aucun degré du domaine strict de la science. — La métaphysique, au contraire, n’a de raison d’être que si elle dépasse cette limite ; son objet, c’est l’ultra-phénomène, que d’ailleurs nous ne confondons ni avec le noumène kantien, ni avec l’absolu de la plupart des philosophes. En dehors des faits de conscience, elle pose d’autres réalités qu’elle essaye de coordonner entre elles et avec eux, et s’il lui arrive de concevoir ces réalités encore comme des faits de conscience, au moins doit-elle ajouter que ce sont des faits de conscience extériorisés, « déconscienciés ». Ainsi seulement la distinction de la métaphysique et de la science peut porter sur un point décisif, se faire d’après un élément fixe et précis, et par conséquent prendre