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analyses. — chaignet. Psychologie des Grecs.

et les épicuriens, même avec les sceptiques, nous avons affaire, non plus à des penseurs isolés, mais à des écoles dont les disciples comme les maîtres professent une doctrine commune. Cette doctrine, il est possible d’en expliquer la formation et d’en suivre les progrès. Nous n’avons donc plus sous les yeux un défilé d’opinions, pour la plupart imparfaitement connues, faute de documents suffisants, un peu puériles, quelquefois, par l’effet du temps où elles furent proposées, et sans rapport, le plus souvent, les unes avec les autres, mais trois systèmes et deux surtout, très sérieux, très dignes d’intérêt. L’œuvre de M. Chaignet devait, en quelque sorte, se perfectionner avec les doctrines dont elle est l’exposé fidèle.

C’est en effet le premier mérite de ce grand ouvrage que la fidélité, la sincérité scrupuleuse, le souci de l’exactitude jusque dans les détails, et aussi l’impersonnalité. L’auteur s’y laisse voir cependant à découvert une fois. Soigneux ordinairement de s’effacer, pour les mieux laisser paraître, derrière les philosophes dont il nous parle, il semble avoir éprouvé une fois le besoin de nous expliquer son impartialité, son apparente indifférence. Je ne puis résister au plaisir de citer cette page. C’est à propos des épicuriens. M. Chaignet vient de constater que leur système, dans l’antiquité comme dans les temps modernes, a été non seulement décrié, mais dédaigné, mis à l’écart aussi bien qu’à l’index. Parmi nos historiens mêmes, Zeller, après avoir consacré trois cents pages au stoïcisme, n’en accorde que le tiers à Épicure, et M. Ravaisson lui donne à peine vingt pages. Usener s’excuse presque de publier une édition nouvelle du IXe livre de Diogène, qui contient l’histoire de sa vie et l’analyse de ses principes. Lange, dans son Histoire du matérialisme, plus favorable, est trop court, et le mémoire de M. Guyau, à côté des éloges que méritait un talent original, vigoureux et distingué, a provoqué, de la part de l’Académie même qui lui décernait la couronne, des réserves expresses et significatives. « Le cours de ces études d’histoire de la psychologie ancienne, ajoute M. Chaignet, m’amène aujourd’hui à Epicure, que je m’efforcerai de juger sans parti pris. Cet état d’esprit d’impartialité sincère ne me sera pas difficile. Le spectacle de toutes les opinions psychologiques qui ont déjà passé sous mes yeux m’inspire une disposition éloignée à la fois du dénigrement et de l’enthousiasme systématiques. Les systèmes se haïssent et se calomnient comme les hommes. L’histoire qui les étudie et les juge aune vertu d’apaisement. Pour bien comprendre une doctrine, pour entrer complètement dans la pensée d’un auteur, il faut une certaine mesure de bonne volonté, et de sympathie. On ne comprend pas ce que l’on hait, et si l’on s’aveugle sur ce que l’on aime, la bienveillance éclairée de la pensée est encore plus près de la vérité et de la justice qu’une aversion déclarée et systématique. J’ai été tour à tour en commerce, en contact, avec les tendances philosophiques les plus diverses, souvent les plus contraires, et il me semble qu’il en est sorti pour moi une sorte de calme et de