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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/432

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sérénité qui me permet, non pas de les concilier dans un vaste et compréhensif système, ce qui n’est ni de ma capacité ni de mon dessein, mais d’essayer de réconcilier tous les esprits avec les efforts magnanimes, tentés en tous sens pour lever le coin du voile qui nous dérobe et nous montre le mystère de la vie, de l’homme ou du monde. Tous les philosophes sont d’accord sur ce point, au moins qu’ils ont passionnément aimé la vérité, qu’ils l’ont courageusement, laborieusement cherchée, et que chacun, malgré ses erreurs, en a trouvé quelques étincelles. Ces grands génies sont, plus encore que saint Augustin, comparables au soleil qui a des taches sans doute, mais des taches qui disparaissent dans la splendeur de ses rayons[1]. »

Cette belle page est la plus propre à révéler l’esprit du livre. Ce n’est pas à dire que l’auteur n’ait ses antipathies particulières. Il n’est pas tendre à ceux qui n’aiment pas assez la vérité pour ressentir jamais l’inquiétude et l’angoisse du doute, ou à ceux qui croient avoir trouvé dès l’abord, ou reçu d’une autre main, sur toutes choses, la vérité. Pour eux, « l’activité intellectuelle, dit-il, n’a plus d’objet, ni de fin, ni de ressort. L’arrêt de mouvement est complet. C’est pour une intelligence humaine, le plus grand des périls, un état voisin de la folie et qui y conduit presque fatalement[2]. » On s’accordera à reconnaître le péril, mais je crains que la dernière partie de cette appréciation ne paraisse exagérée. Tout le monde n’est pas né pour faire de la philosophie par soi-même et rien n’est plus commun que la docilité en matière de spéculations : l’esprit alors se porte ailleurs et, par là, se sauve. M. Chaignet manquerait-il de cette sympathie, de ce respect pour les âmes simples et pour la foi du charbonnier, qu’il a loués si justement chez Épicure[3] ?

La doctrine épicurienne est celle, on l’a deviné, qu’il a présentée avec le plus de développements. Pour compter comme lui, elle occupe deux cent quarante-quatre pages ; les stoïciens en prennent cent quatre-vingt-onze ; les sceptiques n’en ont que quatre-vingt-dix. Nous y trouvons, outre la liste des principaux représentants de cette doctrine négative, depuis Pyrrhon jusqu’à Saturninus, disciple de Sextus Empirions, c’est-à-dire pendant une période de près de cinq siècles, avec une lacune, il est vrai, les diverses tables de tropes, d’arguments pour douter, proposées par les principaux d’entre eux. Leur théorie de la connaissance, en effet, n’est qu’une théorie du doute, et leur, psychologie doit être contenue tout entière dans la démonstration, sur laquelle ils s’accordent au fond, de l’impossibilité d’arriver au vrai. Quelques-uns des éléments de cette prétendue démonstration sont bien loin, on le sait, d’être sans valeur. Stuart Mill en a rajeuni plusieurs, et d’autres philosophes avec lui. La théorie de la relativité,

  1. Page 454.
  2. Pages 192 et 193.
  3. Page 421.