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comprend pas ce qu’est, par exemple « un oiseau affirmé ». Il me semble, quant à moi, que, étant donné que M. Brentano et M. E. s’inspirent tous deux de Kant, il se pourrait que M. Brentano n’eût pas tort contre M. E. On conçoit aisément des représentations ou des sensations, ou des faits de la conscience sensible (le nom n’importe pas), se présentant purement et simplement, sans être, par eux-mêmes, les garants de leur propre vérité. C’est le jugement, l’entendement, la conscience intellectuelle (comme on voudra) qui impose à ces faits subjectifs le sceau de l’objectivité. De cette façon, vérité et réalité, sans doute, finissent par se confondre, et là contre M. E. proteste. Mais il suffit de lire, par exemple, l’admirable article de M. Lachelier, paru ici même en mai 1885, pour comprendre que c’est là, tout au moins, une manière de penser possible, et nullement « absurde ». D’ailleurs que M. Brentano ait tort ou raison, sa doctrine, comme celle de M. E., prouve que la perception est un jugement. Elle est encore si l’on veut un raisonnement. Elle implique, suivant M. E., le syllogisme suivant : toute sensation répond à un objet ; j’éprouve telle sensation ; donc je suis en présence de tel objet. La conclusion est la perception même. Le concept général d’objet, et les catégories de l’entendement, sont indispensables à l’affirmation d’un objet particulier, à l’objectivation de quelque qualité, de quelque rapport, de quelque particularité que ce soit.

En résumé, non seulement la perception rentre dans toutes les classes de la « connaissance inférieure », mais elle est aussi une espèce de pensée. Ce qui prouve qu’il est absolument impossible de distinguer entre eux les concepts des diverses fonctions de la connaissance.

Il est tout aussi difficile d’établir des barrières entre la connaissance, donc aussi la perception et le sentiment. La connaissance est, en un sens, une réceptivité comme le sentiment ; elle repose, comme lui, sur une tendance interne ; et elle peut être, aussi bien que lui, cause de volition. De son côté si le sentiment est un fait où l’âme, le moi, prend conscience de soi, le sentiment est aussi une connaissance, une perception. Enfin connaissance et sentiment peuvent être cause réciproquement l’un de l’autre. Sans doute le langage les distingue : on sent la douleur, on ne la perçoit pas ; mais il lui arrive aussi de les confondre : il est des vérités qu’on sent plutôt qu’on ne les pense. La connaissance paraît n’être qu’un sentiment plus distinct. Il est donc permis de croire que les sentiments actuels et les connaissances sont, les uns et les autres, dérivés de sentiments primitifs : hypothèse corroborée par ce que le sentiment est uni à toute vie consciente, et par ce que tout animal, recherchant le plaisir et fuyant la douleur, par là même les connaît.

La connaissance en général, et en particulier la perception peuvent, enfin, se ramener à la volonté. Toute connaissance est une volition, parce qu’elle est une spontanéité se manifestant par l’attention. Si même on conçoit la volonté, non comme un intermédiaire imaginaire, entre