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cette intéressante étude De la filosofía española, qui figure en bon rang dans un volume de mélanges (Disertaciones y juicios literarios, Madrid, 1878, in-8o pp. 209-236). L’auteur de ce brillant morceau est partagé entre le désir de servir la vérité selon ses moyens, et la crainte de déplaire à une demi-douzaine de braves gens qui ont soutenu thèse en faveur de la philosophie espagnole, et qui seraient désolés que l’Espagne fût privée de cet honneur qu’ils ont cru devoir lui faire. Si les philosophes de profession ne sont guère amusants d’ordinaire, M. Juan Valera, en revanche, n’est pas médiocrement plaisant dans cette étude critique de philosophie où le diplomate se montre supérieur au philosophe, tant le philosophe se montre conciliant. Non, il n’y a point à vrai dire de philosophie espagnole ; mais en prenant la peine d’extraire la substance de nombreux in-folio, il serait possible de trouver quelque chose de caractéristique, qui pourrait donner un peu d’unité à l’histoire de la philosophie espagnole : no se hallase algo de caracteristico en todos, que diese cierta unidad a la historia de la filosofía española (p. 213). Un éclectique du bon temps n’eût pas trouvé mieux. La philosophie espagnole n’existe point, à la vérité ; mais il ne serait pas impossible, en exprimant le suc des philosophes espagnols, de donner un caractère d’unité à l’histoire de cette philosophie, qui n’est qu’un mythe. Les alchimistes avaient de ces illusions et de ces promesses quand ils cherchaient la pierre philosophale et l’élixir de vie. Et c’est un des meilleurs critiques de l’Espagne contemporaine qui écrit ces belles chose sans rire, sans sourciller. On voit bien qu’il a fait sa rhétorique ; mais a-t-il fait sa philosophie ? Puisqu’il croit devoir séparer celle-ci de la politique et de la morale, il aurait dû la séparer de la logique, qu’il connaît sans doute, mais dont il se moque ouvertement. C’est ainsi qu’après avoir soutenu qu’il n’y a d’autre philosophie nationale que celle qui est écrite dans la langue même de la nation (p. 213), il soutient que la philosophie des Arabes et des Juifs d’Espagne, qui ont écrit en arabe et en hébreu, est bien plus espagnole que celle de Sénèque, lequel a écrit en latin. Il est vrai qu’un peu plus haut, il a déclaré que les meilleurs philosophes espagnols ont écrit en latin, et qu’il faudrait les traduire en castillan, apparemment pour en extraire le suc selon la formule, secundum artem. Il est vrai encore que ce critique accommodant ne prétend pas s’adresser aux doctes, mais aux ignorants, en se mettant, comme il dit, à la portée du vulgaire : que yo no presumo de escribir para los sabios, sino para los ignorantes, y afin de poner algunas cosas al alcance del vulgo (p. 218). Singulière méthode ! Les savants n’ont rien à craindre, leur savoir étant l’antidote des toxiques ; mais les ignorants