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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/489

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J.-M. GUARDIA. — histoire de la philosophie en espagne

d’autres encore y entrent de plein droit, rien que sur les titres de leurs ouvrages, à juzgar por los títulos de sus obras, dit naïvement ce juge débonnaire (p. 227). À tous ces élus, il voudrait joindre le sceptique Francisco Sanchez, qui enseigna la médecine et la philosophie à Toulouse, l’intolérance espagnole l’ayant obligé d’aller philosopher à l’étranger. Mais l’intolérance espagnole n’est qu’une métaphore, un lieu commun, ou, comme on dit de nos jours, un vieux cliché. Les déclamateurs en quête d’éloquence ont ridiculement calomnié le Saint-Office, comme d’autres continuent de calomnier la censure. Comme il ne voudrait pas être confondu avec les calomniateurs, le trop ingénieux critique, qui est aussi poète et romancier, ébauche une apologie qui fait vraiment honneur à son esprit inventif. Il faut en dire quelques mots.

L’argument principal de cet avocat d’office ne manque point d’originalité. Sans être très fort, il peut paraître spécieux. Le voici réduit à sa plus simple expression : L’Inquisition d’Espagne, d’après ce casuiste, se composait des esprits les plus distingués, les plus éclairés : todos los hombres que entónces sabian ó casi todos al menos, eran de la inquisición à familiares de la inquisición (p. 228). À défaut d’ambition académique, — il n’y avait pas d’académies constituées en ce temps-là, — chaque homme de mérite aspirait à faire partie d’une corporation dont l’autorité était formidable, qui ne redoutait personne et que tout le monde redoutait. Si le fait pouvait se démontrer, l’institution du Saint-Office de l’Inquisition d’Espagne serait encore plus abominable, ayant eu pour complices la plupart des esprits d’élite, qui se seraient ravalés jusqu’à la plus infime bassesse, par la peur qu’inspire l’égoïsme le plus abject.

Voilà donc l’élite de la nation avilie en vue de justifier la police religieuse la plus détestable qui fut jamais. Ah ! qu’il avait raison le probe et courageux Sanz del Rio, quand il écrivait à quelqu’un qui ne l’a point oublié : « Nous n’avons plus d’inquisition, il est vrai ; mais nous avons toujours l’esprit de l’inquisition qui nous pénètre et nous avilit. » Il y parut à la mort de ce vaillant homme, qui enseigna virilement, selon ses lumières et sa conscience, comme il convient à un philosophe, et vécut et mourut comme un sage. Il ne se faisait aucune illusion sur l’état moral et mental de la nation qu’il essaya d’initier à l’inoffensive philosophie de Krause ; mais il introduisit le ferment qui fera tôt ou tard lever la pâte, à moins que le cerveau de l’Espagne ne soit irrémédiablement ramolli ou sclérosé. Un bon symptôme, c’est la haine implacable qui s’attache à la mémoire de ce grand homme de bien et à la personne de ses plus