Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/498

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
488
revue philosophique

Le troisième et principal coopérateur de cette œuvre commune et confuse se nomme M. Marceline Menendez Pelayo, de l’Académie espagnole et de l’Académie de l’histoire, professeur d’histoire de la littérature espagnole à la Faculté des lettres de Madrid, où il a remplacé feu Amador de los Rios, laborieux et lourd écrivain. Ce jeune homme passe en Espagne pour un prodige, en dépit du proverbe biblique, que nul n’est prophète dans son pays. Bien qu’il vienne du nord, où la gravité est de tradition, il a la désinvolture et l’aplomb des Andalous, qui sont les Gascons de l’Espagne. Il en remontrerait sans peine au diplomate cordouan M. Juan Valera, dont l’outrecuidance est du moins tempérée par une pointe de scepticisme et par quelques granules de bon sens. Il triomphe particulièrement dans cette érudition facile du bibliophile et du bibliographe. Depuis plus de quinze ans qu’il jette sa gourme, il n’a pas manqué de bourrer de citations ses nombreux volumes qui attestent tous une extraordinaire facilité, sinon une probité rigide.

Ce fécond producteur, dont la mémoire est encombrée, se plaît aux compilations énormes. Il a vidé son sac dans l’Histoire des hétérodoxies espagnoles, recueil de monographies dont aucune n’est définitive, et dans cette Histoire des idées esthétiques en Espagne, qui est proprement un chaos : Ces œuvres monstreuses, au point de vue de la méthode, rappellent le vers d’Horace sur Lucilius :

Quum flueret lutulentus, erat quod tollere velles.

C’est de l’eau bourbeuse qu’il faut passer au filtre. Beaucoup de faits entassés pêle-mêle ; beaucoup de réminiscences ; aucune originalité, et cette abondance professorale qui rappelle infiniment celle du réfectoire classique : l’eau noyant le vin.

Quand verra-t-on un livre de ce fécond auteur ? Peut-être quand il lui poussera des idées. Jusqu’ici l’on n’aperçoit que des tendances mais qui ne sont pas douteuses. C’est un orthodoxe ultramontain qui se plaît aux professions de foi variées, délayées, amplifiées, se résumant en cette formule : Soy católico, apostolico, romano. La déclaration est nette, sinon très neuve, et l’on ne s’étonnera point de l’aphorisme qui en découle : Creo que la verdadera civilizacion está dentro del catolicismo.

Si cette conviction est sincère, il est aisé de pressentir la doctrine d’un maître de la jeunesse qui a si bien profité de ses lectures et de l’expérience des siècles, résumée dans l’histoire. Ce n’est pas vers la France que l’attirent ses sympathies : Rabelais, Montaigne, Bayle, Voltaire n’ont pas l’heur de plaire à cet érudit au goût délicat, qui n’a point assez de dédain pour la fausse et misérable philosophie