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REVUE GÉNÉRALE.misère et criminalité

sances », sauf les naissances naturelles qui, de 7,5 pour 100 en 1881, ont atteint, en 1888, la proportion de 8,5 pour 100 ! Et les départements où le divorce fleurit le plus, Seine, Aube, Hérault, Bouches-du-Rhône, Somme, Seine-Inférieure, Eure, Calvados, Aisne… nous les connaissons, ce sont précisément les plus fertiles en crimes et en délits.

En ce qui concerne l’influence du sexe, M. Colajanni et M. Joly ne sont pas très loin de s’entendre. Ce dernier, en dépit des chiffres, ne croit pas la femme meilleure que l’homme, et mettrait volontiers à son passif tous les crimes masculins qu’elle suscite. Mais, dans la mesure où sa délictuosité est réellement moindre, il explique la chose par sa religiosité plus grande. L’écrivain sicilien, il est vrai, semble rendre hommage à la bonté de la femme : combien n’a-t-on pas vu de femmes, sauvages même, se jeter aux pieds de leur mari pour obtenir la grâce de prisonniers prêts à être exécutés ! Mais son dévoûment, suivant lui, n’a rien d’inné et résulte de ses conditions sociales ; la fréquence de ses délits spéciaux, ses propensions à l’infanticide, à l’empoisonnement, au vol domestique ou dans les magasins de mode, montrent qu’elle n’a pas, naturellement, plus de pitié ni de probité que l’homme. Au surplus, sa bonté native, admise par hypothèse, ne peut, dit-il, suffire à expliquer son moindre contingent criminel, qui varie entre le dixième et le tiers du nôtre. Il croit que cet écart considérable des chiffres a sa source dans les différences des conditions sociales propres aux deux sexes. Seulement, en spécifiant ces conditions, il ne se place qu’au point de vue économique, et fait de vains efforts pour essayer de nous démontrer que, si la femme pèche moins, c’est qu’elle souffre moins de la faim, et est, en tout pays, mieux partagée que l’homme en fait de bien-être et de luxe. J’avoue que, des deux explications, aucune ne me satisfait pleinement ; mais la seconde est assurément beaucoup moins satisfaisante que l’autre. La première dans une certaine mesure s’accorde avec les chiffres de la statistique. Nous voyons la criminalité de la femme se rapprocher de celle de l’homme dans les départements bretons, où l’homme est presque aussi religieux que la femme, et dans les villes, dans les pays très civilisés où la femme est presque aussi irréligieuse que l’homme. M. Joly peut, jusqu’à un certain point, invoquer ces résultats. Il pourrait aussi insinuer que si, en France, la criminalité relative de la femme a baissé par degré depuis 1830, descendant de 20 à 14 pour 100 accusés ou prévenus des deux sexes, la distance toujours croissante qui sépare chez nous les hommes des femmes au point de vue des croyances et des pratiques religieuses n’est peut-être pas étrangères à ce fait[1] susceptible d’ailleurs de bien d’autres explications. Mais comment M. Colajanni explique-t-il, à l’aide de son principe cardinal, que l’écart des deux criminalités soit plus grand en Italie qu’en Angleterre, et dans les campagnes, en général,

  1. En Espagne aussi, et en Prusse (voir Colajanni, p. 99), la criminalité relative de la femme va s’abaissant.