Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/520

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
510
revue philosophique

que dans les villes ? Est-ce que cette moindre criminalité de la femme italienne comparée à la femme anglaise, et de la femme rurale comparée à la femme citadine, tiendrait à ce que la femme jouit en Italie d’une aisance bien plus grande qu’en Angleterre[1], qu’elle est plus riche et plus heureuse aux champs que dans les grands centres ? Le contraire pourrait être avancé avec vraisemblance. Nulle part, plus que dans les milieux ruraux, la compagne de l’homme n’est traitée par lui en esclave ou en bête de somme et le degré de civilisation d’un pays se reconnaît à l’amélioration du sort féminin. — Puisque le champ des hypothèses est ouvert, je propose la suivante, qui n’est point galante à la vérité, mais qui, j’en ai peur, pourrait bien être plus solides qui sait s’il n’en est pas de la femme comme du nègre, lequel, avant son émancipation, présentait d’après les statistiques françaises ou anglaises, dans toutes les colonies[2], une criminalité très inférieure à celle du blanc, et, depuis qu’il est émancipé, est devenu beaucoup plus criminel que ce dernier ? La femme assurément est plus libre, plus affranchie en Angleterre qu’en Italie, dans les villes que dans les campagnes.

Les abandons d’enfants, qui se multiplient en France et à Paris depuis quelques années, ont fourni à M. Joly un nouvel argument sérieux contre Lombroso. Disons d’abord que la progression douloureuse dont il s’agit, celle des enfants, soit naturels, soit même légitimes, abandonnés matériellement, c’est-à-dire tout à fait, par leurs parents, ne date pas d’hier ; mais le chiffre s’en est élevé de 26,000 en 1861 à 43,889 en 1885, pour toute la France ; et pour Paris, de 2,320 en 1877 à 3,151 en 1883. Or ces pauvres enfants dont l’Assistance publique à Paris devient la mère et qu’elle place autant qu’elle peut parmi d’honnêtes cultivateurs de la Nièvre, comment, plus tard, se conduisent-ils ? On admettra sans peine que, nés de l’hymen du vice avec la misère, ils doivent porter en naissant les plus mauvais germes, les plus perverses inclinations ; et si l’hérédité jouait ici un rôle prédominant, leur conduite devrait-être déplorable. Il n’en est rien : les cultivateurs qui les ont accueillis n’ont que rarement à s’en repentir, et, dans ce département, l’un des plus blancs sur la carte criminelle, ces néo-paysans ne font point tache appréciable.

Mais, au lieu d’effleurer des questions d’ordre secondaire ou d’une portée simplement négative, il est préférable de nous concentrer sur la discussion d’un problème capital fort bien traité, quoiqu’en deux sens opposés, par nos deux écrivains. Il s’agit de savoir, l’explication lombrosienne étant écartée, si, parmi les « facteurs sociaux », la misère et la richesse sont les conditions majeures de l’immoralité ou de la moralité des individus. M. Colajanni l’affirme, M. Joly le nie. Le

  1. D’après M. Messedaglia, cela tient à ce que la femme anglaise participe plus activement à la vie publique… ??
  2. Voir le Crime en pays créoles, par le Dr Corre (Lyon, Storck, 1889).