La guerre elle-même est devenue le plus grand des luxes, le plus bête et le plus coûteux. Pendant les guerres contre la République et l’Empire, la Grande-Bretagne a vu se multiplier dans son sein les délits, les rébellions, les soulèvements ; et, de l’autre côté de la Manche, dans notre pays, le même tourbillon sanglant a déchaîné la même épidémie criminelle. Pour l’Eure, nous savons par M. Joly qu’une statistique officielle du premier Empire a révélé une augmentation notable des homicides et des vols de 1789 à 1805 ; et il est fort possible qu’un fait analogue se soit produit chez nous un peu partout. Quoi qu’il en soit, n’ayant égard qu’à la recrudescence du délit britannique, pendant cette période, je me demande s’il est permis à M. Colajanni de l’expliquer entièrement par le malaise économique. Pourquoi pas aussi bien par l’effervescence des idées et des passions politiques ou patriotiques ? En tout cas, ces dernières causes ne sont-elles pas les seules qui aient provoqué ce long duel d’un quart de siècle entre le Français et l’Anglais ?
Le plus spécieux des arguments que notre auteur puisse invoquer en laveur de sa thèse, c’est le tableau, un peu idyllique peut-être, mais conforme au récit des voyageurs, qu’il nous trace des communautés égalitaires, encore éparses çà et là sur divers points du globe, en attendant leur évanouissement prochain. C’est là, d’après lui, que le maximum de stabilité et le minimum d’inégalité des biens se trouvent réalisés. Or, il est bien certain que ce communisme rural, tel qu’il est pratiqué dans le mir russe, dans la tribu berbère, dans la zadrouga slave, dans la communauté de village des Peaux-Rouges, est exclusif du paupérisme, ou plutôt, comme M. de Laveleye l’a montré, est encore le seul remède efficace contre le paupérisme qu’on ait encore imaginé. Il est certain aussi que la moralité de ces petites sociétés communistes, du moins dans les rapports mutuels de leurs membres, sauf dans le clan écossais, très voleur, exception explicable, nous dit-on, par l’inégalité qui y règne, est en général excellente et de nature à nous faire envie. Mais cela tient-il uniquement, ou même principalement, au bien-être que procure aux associés leur combinaison de sécurité et d’égalité pécuniaires ? Ou plutôt cela ne tient-il pas avant tout à l’esprit de solidarité cordiale qui les unit, et à l’absolu conformisme d’idées et de sentiments, au respect pieux des traditions et à l’entier effacement de l’individu devant son groupe, qui sont les conditions nécessaires d’existence de ces difficiles et rares agrégats ? À leur premier contact avec notre civilisation individualiste, émancipatrice, elles fondent comme la neige au soleil, et le sentiment de leur bien-être, qui n’a pourtant pas diminué, ne suffit pas à maintenir leur lien. Et, à ce propos, je ne puis me défendre d’une réflexion qui aura l’air d’un paradoxe, mais, malheureusement, je le crains, n’en aura que l’air. D’une part, le communisme agricole a seul, jusqu’ici, réfréné le crime ; d’autre part, l’individualisme, inconciliable avec le collectivisme, est nécessaire pour faire franchir aux sociétés le passage de la tribu primitive aux grands Etats civilisés, seule condition permanente de paix sûre et vaste, de force et de lumière. Donc le crime, lié