Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/524

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
514
revue philosophique

inévitablement à l’individualisme, constitue une crise normale, une phase indispensable du développement des sociétés. Considération très propre à flatter peut-être les criminalistes, mais nullement à réjouir les optimistes.

Pour soumettre à un dernier et décisif contrôle l’idée de M. Colajanni, appliquons-la à la France, avec l’aide de M. Joly. Le livre récent de ce dernier, en ses plus brillants et meilleurs chapitres, semble en être l’application et en est à coup sûr la réfutation. Il y a là un faisceau d’inductions antisocialistes qui font suite à l’argumentation d’Enrico Ferri dans sa substantielle brochure sur Socialismo e criminalità. M. Joly a étudié sur place, dans l’Hérault et en Normandie, les foyers infectieux de la criminalité française ; il s’est rendu compte des causes du mal ; et il n’a pas été médiocrement surpris de constater que, dans ces régions, les plus riches du reste en même temps que les plus délictueuses de notre territoire, ce sont les parties les plus favorisées par la fortune qui fournissent le plus haut contingent criminel. Les plus stériles, au contraire, de l’Eure et du Calvados, à l’est, sont les plus honnêtes, tandis que les crimes et délits pullulent dans la Normandie herbagère où l’engraissement des bestiaux enrichit si vite le cultivateur. « Le riche herbager des vallées d’Auge et de la Risle est le plus corrompu des Normands. » À l’autre extrémité de la France, l’Hérault qui, jusqu’en 1857, était classé parmi les deux ou trois départements les plus moraux, les plus blancs sur la carte, s’est assombri par degrés depuis 1868, et si vite que maintenant il est le 81e sur la liste. Il a commencé à se démoraliser au moment où il a commencé à s’enrichir. « On peut dire que les trois quarts des habitants de l’Hérault représentent des individus subitement et prodigieusement enrichis. » Bien mieux, l’arrondissement qui a gagné le plus d’argent est celui de Montpellier, le plus mauvais, et, dans cet arrondissement, le point central de l’inflammation criminelle est Cette, la ville la plus prospère de la contrée.

M. Colajanni dira-t-il que ce dernier exemple ne lui est pas opposable, la richesse dont il s’agit étant trop subite pour offrir les garanties de stabilité auxquelles il attache tant de prix ? Soit, mais elle a été assez généralisée pour avoir supprimé toute misère ; ce qui n’empêche pas la cupidité d’être dans l’Hérault le mobile de plus en plus dominant des délits. Elle y croît encore plus rapidement que la richesse. En tous cas, que peut-il objecter à l’exemple de la Normandie ? Ici il s’agit d’une richesse agricole et de longue date, très également distribuée, très stable ; et cependant la noirceur des teintes sur les cartes criminelles ainsi que sur la carte de l’alcoolisme, y est très prononcée et très ancienne aussi.

M. Joly a joint à son livre une carte qui, je ne crains pas de le dire, est un petit chef-d’œuvre en son genre. Il a trouvé moyen d’y perfectionner une de celles dont M. Yvernès illustre de loin en loin son Compte général de la justice criminelle. Sans entrer dans le détail des