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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/532

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affectives et les sensations dites représentatives. Si une sensation affective, dit-il, un plaisir ou une douleur par exemple, nous apparaît comme plus intense, ce n’est pas parce que la sensation correspond à un ébranlement nerveux plus considérable. Car de cet ébranlement nerveux, par la conscience, nous ne savons rien. Il n’existe pas pour elle. Elle ne nous avertit que de notre plaisir ou de notre douleur. Mais si la conscience ne saurait rien nous dire des phénomènes qui se passent dans les centres nerveux, elle peut très bien avoir le pressentiment des mouvements par lesquels l’organisme affecté va réagir, mouvements qui sont ou peuvent être conscients. « L’état affectif ne doit donc pas correspondre seulement aux ébranlements, mouvements ou phénomènes physiques qui ont été, mais encore et surtout à ceux qui se préparent, à ceux qui voudraient être » (p. 25). Nous arrivons ainsi à une définition de l’intensité des sensations affectives, qui en élimine l’idée de grandeur. Cette intensité serait « la conscience que nous prenons des mouvements involontaires qui commencent, qui se dessinent en quelque sorte dans ces états, et qui auraient suivi leur libre cours, si la nature eût fait de nous des automates, et non des êtres conscients. » La douleur par exemple sera d’autant plus intense que plus d’organes du corps prendront part à la réaction qui la repousse. Elle ne varie pas en quantité ; elle paraît grandir parce que la conscience perçoit confusément les éléments nouveaux qui viennent grossir l’émotion.

Mais cette explication ne peut évidemment s’étendre à l’intensité des sensations représentatives. D’où vient (en faisant abstraction de l’élément affectif) qu’une sensation de lumière, de son, de poids est dite un peu ou beaucoup plus intense qu’une autre ? Ne croyons-nous pas saisir ici des variations quantitatives sans que la qualité de la sensation ait changé ? — Non, dit M. Bergson, ce qui varie quantitativement, c’est la cause de la sensation, qui est dans l’étendue, et peut par conséquent être traité comme quantité et mesurée. À mesure que cette cause varie par degrés, la sensation varie par nuances. La cause extensive grandit ou diminue, la sensation devient autre. Mais, sachant par une expérience mille fois répétée, qu’à tel degré de la cause correspond telle qualité ou nuance de notre sensation, nous finissons (conformément aux nécessités du langage) par transporter l’échelle quantitative sur la sensation même, qui n’est point quantité. « On introduit ainsi la cause dans l’effet, et on interprète inconsciemment la qualité en quantité, l’intensité en grandeur… L’intensité de toute sensation représentative doit s’entendre de la même manière » (p. 32).

Ici se place naturellement un examen de la psycho-physique. M. Bergson n’a pas à la critiquer en détail. Il suffit à son objet d’en discuter le principe, évidemment incompatible avec la thèse qu’il soutient. Fechner a bien compris que pour mesurer la sensation, il fallait d’abord déterminer une unité. C’est pourquoi il a essayé d’établir à quelle différence dans l’excitation correspondait la plus petite différence de sensation perçue, et il a pris alors pour postulat que « l’on peut égaler l’une