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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/533

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ANALYSES.bergson. Données immédiates de la conscience.

quelconque des sensations obtenues à la somme des différences qui séparent les unes des autres les sensations antérieures, depuis la sensation nulle » (p. 45). Or ce postulat est inadmissible. En effet, la sensation que j’éprouve en soulevant un poids de cinq kilogrammes, par exemple, ne peut être considérée comme équivalente à la somme de la sensation initiale de poids, plus autant de différentielles de sensation qu’il est nécessaire pour correspondre à une excitation croissant jusqu’à cinq kilogrammes. La sensation que j’éprouverai en soulevant un poids de dix, quinze, vingt kilogrammes n’est pas un multiple de celle que j’éprouve en soulevant un poids de deux ou de cinq kilogrammes, parce qu’elle n’est pas décomposable en unités selon une loi qui lui serait commune avec les autres. Elle est qualitativement différente ; elle est autre et l’on ne peut considérer comme commensurables que des grandeurs homogènes entre elles. M. Jules Tannery, que M. Bergson cite avec raison, a nettement caractérisé le postulat de Fechner. « On dira par exemple, qu’une sensation de 50 degrés est exprimée par le nombre de sensations différentielles qui se succéderaient depuis l’absence de sensation jusqu’à la sensation de 50 degrés… Je ne vois pas qu’il y ait là autre chose qu’une définition, aussi légitime qu’arbitraire. »

M. Bergson conclut donc contre la psycho-physique, mais il conclut aussi contre ses adversaires. Ceux-ci parlent en effet d’une quantité intensive qui comporte le plus ou le moins, sans comporter la mesure cependant, parce qu’elle n’est pas dans l’étendue, et que toute mesure implique superposition, c’est-à-dire étendue. Selon M. Bergson, cette idée de quantité intensive contient une équivoque. Ou l’intensité des états de conscience consiste réellement en ce qu’ils croissent et diminuent, et, dans ce cas, Fechner a raison de vouloir les mesurer : la tentative, en droit, est parfaitement légitime. Ou bien cette intensité exprime des changements qualitatifs (c’est ce que M. Bergson a essayé de prouver), et dès lors il ne faut plus parler de quantité ou de grandeur, même intensive. L’état de conscience est qualité pure.

Malgré tous les arguments dont elle est appuyée, cette conclusion semble paradoxale. S’il est impossible de soumettre les états de conscience à la mesure, n’est-il pas également impossible de les soustraire complètement à la catégorie du plus et du moins ? Nous ne saurions mesurer la sensation : mais la conscience ne nous affirme-t-elle pas qu’une sensation, un sentiment, une douleur, est plus intense qu’une autre, quoique nous ne puissions dire de combien ? — Mais, dit M. Bergson, j’ai expliqué cette illusion de la conscience. Je ne nie pas que nos états nous apparaissent comme plus ou moins intenses : je montre au contraire que cette apparence devait se produire, quoique nos états de conscience ne soient en aucune manière des grandeurs ou quantités. La perception de l’intensité consiste, lorsqu’il s’agit de sensations représentatives, « dans une certaine évaluation de la grandeur de la cause par une certaine qualité de l’effet : c’est, comme diraient