nécessité d’une part (rapports analytiques de quantités), et la contingence d’autre part (rapports synthétiques de qualités), la causalité telle que l’entendait Kant disparaît.
Cette conclusion n’a rien qui effraye M. Bergson. Il devait y venir, car, en supprimant le temps homogène, il rendait impossible, du même coup, toute liaison nécessaire et synthétique du réel. En effet les objets, qui sont dans l’espace, ne durent pas. Nous sommes dupes d’une illusion, quand nous croyons que les phénomènes extérieurs s’engendrent ou du moins se conditionnent les uns les autres. De fait ils sont, ils disparaissent, d’autres paraissent, et toujours ainsi. Aucun progrès : toujours des simultanéités données, contemporaines d’un de nos états de conscience. — Inversement, le moi dure. Mais comme il varie sans cesse qualitativement, et que ce changement qualitatif, qui est sa durée même, est imprévisible, — sans quoi il serait déjà donné, — il n’y a aucun lien logique entre ce qu’il est et ce qu’il sera. Donc le moi ne peut être que libre. « On appelle liberté le rapport du moi concret à l’acte qu’il accomplit. Ce rapport est indéfinissable, précisément parce que nous sommes libres. On analyse en effet une chose et non pas un progrès : on décompose de l’étendue, non pas de la durée. » La liberté est donc, elle aussi, une donnée immédiate de la conscience. Il n’y a pas à la démontrer : il n’y a qu’à se sentir vivre. En voulant la démontrer, on aboutit infailliblement à la nécessité. En écoutant la conscience, non pas la conscience dressée à s’exprimer dans le langage, mais la conscience du moi profond, dont les moments successifs se fondent et s’organisent, on s’aperçoit que ce moi n’est pas dans le temps (conçu comme un milieu homogène), et que par conséquent ses actes sont imprévisibles. La liberté n’est pas un mystère, c’est un fait. Il n’est pas besoin, pour la préserver de la nécessité, de la reléguer dans le monde inaccessible des noumènes. Elle est la réalité vivante, et par delà ce « progrès » qui est l’esprit même, il n’y a à chercher ni noumène, ni substance, ni chose en soi.
M. Bergson a pris soin de comparer lui-même sa théorie à celle de Kant. Il approuve Kant disant que l’espace homogène est une forme de notre sensibilité quant à la connaissance des objets : il n’accorde pas que le temps aussi soit un milieu homogène où les phénomènes se disposent. Kant « n’a pas remarqué que la durée réelle se compose de moments intérieurs les uns aux autres, et que lorsqu’elle s’exprime en temps, c’est-à-dire en un milieu homogène, elle a emprunté à l’espace une représentation symbolique ». En d’autres termes, des deux formes irréductibles que Kant admettait, M. Bergson n’en reconnaît plus qu’une seule. À la place du temps homogène, « concept bâtard et contradictoire », il substitue la durée réelle, l’interpénétration des états de conscience. Les objets sont dans l’espace, et dans l’espace seulement. Le moi n’est ni dans l’espace, ni dans le temps homogène. Sa durée consiste dans « l’organisation des états de conscience ».
Cette différence entre les deux théories entraîne des conséquences