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M. Bertrand a voulu prouver deux choses ; d’abord, que toutes le» objections formulées de nos jours contre la réalité de l’effort musculaire, Biran et Ampère les ont connues, pesées, repoussées ; et de plus que, discutables de leur temps, elles le sont encore maintenant.

Malgré des divergences de détail, Ampère et Biran affirment, d’un commun accord, la réalité de l’âme conçue comme une force hyperorganique, son action immédiate et immédiatement sentie sur le cerveau selon Ampère, sur le muscle d’après Biran, par conséquent, entre les deux termes hétérogène, âme-substance d’une part, muscle ou cerveau de l’autre, un rapport dynamique et non une simple relation de succession. Ces points, sur lesquels les deux amis n’ont jamais hésité, sont précisément ceux que de nos jours physiologistes et criticistes ont prétendu réduire à néant.

« Il semble qu’on puisse ramener à trois types principaux les griefs des physiologistes contre l’effort musculaire. Ils le nient parce qu’il les obligerait à sortir des limites de leur science et à se rendre pour ainsi dire tributaires de la psychologie ; ils le rejettent parce que ses prétendues données sont entachées d’inexactitude et échappent à la mesure et au calcul ; ils l’éliminent enfin parce qu’ils sont sûrs de pouvoir s’en passer et qu’ils expliquent fort bien sans lui tous les faits… » « Le premier argument est le paralogisme transcendantal de la physiologie ; le deuxième un véritable sophisme de confusion, et le troisième une contradiction flagrante dans l’énoncé même du problème. »

Le sentiment de l’effort n’est, prétend-on, que le dernier terme de toute une série de sensations musculaires orientées du dehors vers le dedans ; celles-ci sont les éléments, celui-là est le composé. Mais quoi ! Les sensations musculaires sont passives : comment, additionnées, deviennent-elles un sentiment d’activité ? Elles sont représentatives, par suite extensives : comment par leur union produisent-elles l’effort, de nature intensive ?

On invoque le cas des malades qui, en perdant la sensibilité, perdent le sentiment de l’effort. Qu’est-ce que cela prouve sinon qu’en supprimant la matière on supprime la forme ? qu’en détruisant les sensations musculaires passives on détruit leur caractère spécifique toujours imprimé par l’effort ?

Ce dernier, on l’a donc isolé de toute sensation et par là même ramené à un pur zéro. Cela n’empêche pas d’affirmer d’autre part que l’entreprise même de l’isoler est absolument chimérique et qu’on n’y réussira par aucun artifice d’analyse. La contradiction est évidente. Il reste à la résoudre.

En résumé, pour les physiologistes, l’effort termine une série, il est une conclusion. Toutefois les éléments de la série sont entre eux de nature analogue, les prémisses de la conclusion sont homogènes. Il n’en est plus de même pour les criticistes. Avec eux l’effort devient un