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ANALYSES.bertrand. Psychologie de l’effort.

phénomène complexe qui enveloppe des modes essentiellement distincts. Il est d’abord un acte mental, pur Fiat que prononce la volonté ; il est ensuite la sensation musculaire, c’est-à-dire « une sensation afférente complexe qui vient des muscles contractés, des ligaments tendus, des articulations comprimées, de la poitrine fixée, du sourcil froncé, des mâchoires serrées, etc. ».

On reconnaît la thèse de W. James. Elle n’a pas séduit M. Bertrand qui multiplie les objections. Nous signalerons simplement la plus importante. Poser une double série d’états absolument hétérogènes, à savoir une résolution, acte tout mental, puis un groupe de mouvements, travail exclusivement physiologique, c’est s’imaginer à tort que, le Fiat une fois prononcé, tout le reste suit comme par une grâce souveraine. En réalité, écarter une représentation agréable, maintenir une représentation pénible, c’est ne décrire que le premier moment de l’opération. La volonté se continue, se prolonge dans les mouvements, au cours même de leur exécution. Elle seule les maintient, les dirige, les modère, les précipite. Un Fiat ne suffit pas à Atlas pour porter le monde. « Le peintre et le statuaire le représenteront toujours peinant et souffrant, les muscles tendus et le dos courbé, jamais écartant des images comme Enée aux enfers écarte les ombres de son épée. »

Cet idéalisme phénoméniste fort de son air de nouveauté, M. Bertrand très ingénieusement le retrouve dans Malebranche, et la philosophie de ce dernier était bien connue de Biran. Le maître et le disciple ont donc eu les mêmes adversaires. Ils ont maintenu les mêmes conclusions, c’est-à-dire, sous les sensations afférentes, la volonté présente dans l’effort et l’effort présent dans les mouvements.

IV. — Une hypothèse a de la valeur quand elle permet de prévoir les faits et qu’elle nous met en mesure de les annoncer avant leur apparition, quand en outre elle crée entre les choses un lien si intime et si nécessaire que toute autre manière de les expliquer est immédiatement rejetée par la raison.

La théorie des relations est, aux yeux d’Ampère, son inventeur, une hypothèse de ce genre. Toutes ses découvertes en sont des corollaires. Voyons-la donc dans ses principaux traits.

Par le sentiment de l’effort je dépasse le monde des apparences, j’atteins le moi agissant, je saisis dans son intime réalité la personne. Mais qu’est-ce que ce sentiment ? L’intuition du moi qui veut et du corps qui obéit, l’un et l’autre réunis dans une permanente liaison. Le moi change, il est jeune ou vieux, il naît, il meurt ; le corps, lui aussi, varie ; le cortège de ses impressions se renouvelle ; sensations, images, désirs, tout cela passe et s’écoule ; une seule chose reste invariable, nécessaire, à savoir l’action du moi sur les organes, de l’âme sur le corps. Nous voici donc en présence d’une relation qui offre un double caractère constamment présent : elle est nécessaire, elle dépasse les phénomènes.