espèces animales, par l’intervention de motifs désintéressés ou sociaux ; et, dans ces espèces, comme Font si bien démontré Darwin, Espinas et Hæckel, à mesure que se développe l’état social, les actes qui peuvent se qualifier de moraux se développent et s’amplifient. Dans les sociétés humaines, le progrès de la morale est un corollaire du progrès de leurs institutions, dans le sens le plus large du mot. Chaque étape successive sur le chemin de la civilisation apporte de nouveaux perfectionnements dans les mœurs, une plus grande délicatesse dans les sentiments moraux, une plus grande exigence dans les idées du devoir. Ainsi les peuples à l’état rudimentaire ne considèrent et n’apprécient que les vertus strictement sociales, les vertus de protection et de conservation ; avec le développement postérieur, prennent naissance les vertus personnelles.
Les faits moraux se distinguent, d’ailleurs, du reste des faits sociaux. Les deux caractères fondamentaux du fait social sont le concours et la transmission héréditaire. L’acte primordial du concours donne lieu à des coopérations et à des conflits entre les unités sociales : ici intervient un nouveau facteur, le facteur moral. D’une manière tout à fait empirique, nous pouvons dire que les actes qui constituent la conduite d’un individu sont moraux ou immoraux, selon qu’ils tournent au profit ou au dommage de ses coassociés. Maintenant voici naître un nouvel élément de la sociabilité et de la moralité. La représentation dans un être d’un être semblable à lui est le point de départ de toute une série de phénomènes d’un ordre spécial. Il y a comme une extension ou duplication de l’individu, qui se traduit d’abord par la répétition ou imitation involontaire des mouvements, et finit par l’accord plus ou moins parfait des états d’esprit de l’un et de l’autre. De là naît la sympathie, la participation aux plaisirs et aux peines de nos semblables. Ces plaisirs et ces peines peuvent être de purs motifs déterminants de nos actions. Schopenhauer reconnaît que la compassion ou sympathie pour les peines peut et doit être considérée comme le fondement de la morale ; mais il nie que la sympathie pour le plaisir soit un puissant mobile. La vérité est que ni la sympathie en elle-même ni l’égoïsme par lui seul ne favorisent d’une manière adéquate le développement social, et par conséquent le développement individuel. Les sentiments primitifs, égoïstes ou altruistes, auraient été et peuvent être encore un obstacle au progrès humain, qui n’est assuré que grâce à un compromis entre l’égoïsme et la sympathie. Le désintéressement absolu de soi-même, pour se sacrifier au bien d’autrui, est nul en morale, et ne produit nul bien, puisqu’il supprime la source d’où il pouvait couler. L’altruisme véritable implique une limitation, mais non une suppression de la personnalité individuelle. Les nécessités mêmes de la vie en commun établissent une espèce de sélection, dont le résultat est un équilibre plus ou moins juste entre ces deux tendances, qui, dès lors, méritent le nom de morales.
Arrêtons-nous à ces considérations toutes sommaires et générales,