couleurs qu’en vertu d’une métaphore sans valeur sérieuse : entre deux teintes on ne voit jamais se produire un phénomène analogue à celui des battements ; l’œil manque donc du moyen le plus précis d’appréciation qui existe pour reconnaître l’égalité de deux tons.
L’oreille possède une propriété bien plus singulière ; dans une certaine mesure, elle est sensible à la forme des vibrations : nos jugement musicaux dépendent toujours du régime des harmoniques. L’existence de ces accessoires dépend, à son tour, des lois de l’élasticité : on ne trouve rien d’analogue dans l’optique.
Ces considérations auraient dû suffire pour séparer la musique des autres arts depuis bien longtemps ; mais on ne pouvait s’y résoudre, on préférait admettre que l’oreille était un sens plus perfectionné que les autres et que la différence portait sur le degré de finesse des organes[1]. On s’était d’avance fermé tout appel à l’expérience en plaçant tous ces problèmes dans la région inaccessible de l’âme.
III
Nous allons maintenant essayer d’aborder l’autre question, sur laquelle les recherches psycho-physiques ont beaucoup moins porté. Depuis très longtemps les philosophes sont préoccupés de cette idée que nos sentiments esthétiques ont pour base certaines relations mystérieuses entre les choses représentées : cette doctrine paraît sous plusieurs formes, qu’il faut discuter ici sommairement.
Il est clair que cette conception a une origine musicale ; on avait remarqué, avec étonnement, que les accords les plus parfaits semblaient révéler, dans l’âme, la recherche de rapports simples entre les excitations. Euler donna à cette théorie l’appui de son nom, et elle n’a pas cessé d’exercer une grande influence. On objectait que nos organes sensoriels ne sont pas disposés de manière à reconnaître les nombres de vibrations ; que nous n’avons aucun sentiment du rapport en question, qui nous est révélé par des expériences physiques et non par l’observation psychologique. Toutes ces raisons étaient
- ↑ M. Ch. Henry (Revue phil., mars 1890, page 333) estime que tous les sens sont « des tacts spéciaux plus ou moins raffinés ». Si, dit-il, il y a pour la musique « une loi des faits de dynamogénie et d’inhibition… on doit… accorder que cette loi s’appliquera à tous les tacts, avec plus ou moins… de perturbations réelles. Si on n’admet pas l’existence d’une loi des actions nerveuses… la physiologie devient une recherche illusoire. » On voit combien la thèse de notre savant contradicteur est opposée aux principes psycho-physiques. Nous ne considérons point les actions nerveuses ; nous doutons fort même qu’il y ait une loi du système nerveux ; quant au mot action, nous le croyons uniquement justifié par une métaphore. L’action nerveuse n’est susceptible d’aucune définition scientifique.