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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/581

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g. sorel. — contributions psycho-physiques

impuissantes ; car l’homme est tellement avide d’explications qu’il préfère adopter toutes les absurdités du monde plutôt que d’abandonner une formule, qui a une apparence explicative.

On aurait lutté vainement contre ces préjugés, si les musiciens contemporains n’avaient donné des théories nouvelles de l’harmonie : ils ne sont pas complètement d’accord entre eux, mais leurs systèmes sont indépendants de l’ancienne doctrine et sont basés sur des considérations propres à l’acoustique. Les vieilleries traditionnelles ont tant d’influence, même sur les meilleurs esprits, que Wundt croit encore pouvoir donner l’échelle musicale comme une preuve en faveur de la loi logarithmique. Il est certainement très curieux que les musiciens ordonnent en progression arithmétique certains sons, tandis que les physiciens les ordonnent en progression géométrique, d’après les nombres de vibrations ; la question est de savoir si ce fait n’est pas susceptible de plusieurs explications.

Il est tout à fait arbitraire de prendre pour mesure de l’excitation le nombre des vibrations ; cela serait légitime si notre sensation nous disait quelque chose sur l’oscillation du corps sonore ; mais il n’en est rien. D’après le principe psycho-physique, nous ne devons faire entrer dans la formule que des choses homogènes[1] (la grandeur, par exemple, d’une chose mesurée et cette grandeur estimée avec la même unité). Il serait donc contraire à nos principes de considérer l’échelle musicale comme un exemple de la loi logarithmique.

Wundt a d’ailleurs reconnu, lui-même, que[2] « nous n’avons nullement conscience des nombres de vibrations des tons ». C’est une des raisons qu’il objecte au système d’Euler.

Lorsque les anciennes théories sur l’harmonie étaient en honneur, on avait cherché à généraliser le principe sur lequel elles s’appuyaient et basé l’apparition des sentiments sur des propriétés des nombres. Il n’y a rien d’aussi difficile à déraciner qu’une théorie obscure, qui refuse de se soumettre au libre examen et à l’expérience. Tout le monde reconnaît que nous n’avons pas la moindre conscience de certains rapports (objectifs) et cependant on s’obstine à les regarder comme ayant une valeur réelle au point de vue esthétique.

Ce préjugé, fondé sur une conception fausse de la musique, a surtout cours parmi les gens qui s’occupent de la théorie de l’architec-

  1. Le plus souvent les auteurs ne se sont pas préoccupés de ce principe capital. M. Ch. Henry s’est bien aperçu de l’erreur dans laquelle on tombe généralement ; il a cherché à donner une théorie de la loi logarithmique, qui n’ait pas l’inconvénient de relier des choses hétérogènes. (Cercle chromatique, page 53.)
  2. Éléments, etc., t.  II, p. 65.