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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/661

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ANALYSES.guyau. L’art au point de vue sociologique.

Les études que Guyau consacre à la littérature contemporaine (le roman psychologique et sociologique, les idées philosophiques et sociales dans la poésie, la littérature des déséquilibrés et des décadents) sont de véritables modèles de critique littéraire. Nous ne pouvons les analyser ici. Signalons seulement les belles pages où il revendique pour Hugo le titre de penseur que certains contemporains lui ont injustement contesté et la solution très neuve qu’il donne dans sa Conclusion au vieux problème de la moralité dans Part.

En résumé, les ouvrages de Guyau sur l’esthétique et sur l’art marqueront, croyons-nous, le point de départ d’une nouvelle évolution de la science du beau. Son histoire a déjà parcouru deux phases : elle entre dans une troisième avec Guyau.

L’esthétique des platoniciens et des cartésiens pourrait se définir l’esthétique de l’idéal. Le beau, c’est la vérité, l’ordre, la perfection, plus ou moins imparfaitement réalisés dans les choses où notre raison les aperçoit et dont elle reconnaît la conformité avec ses propres idées. Ainsi se résumerait sans doute la théorie du beau avant Kant.

Il est plus difficile de dénommer l’esthétique issue de la Critique du jugement : le nom qui lui conviendrait le mieux est peut-être « esthétique de la perception ». En tout cas le principe n’en est pas douteux. Le beau est tout entier relatif au plaisir qu’il nous cause, et ce plaisir lui-même est l’effet d’un acte subjectif, de l’acte par lequel nous percevons la forme des objets sensibles. L’école anglaise a développé ce principe en y introduisant l’idée du jeu, qui est déjà indiqué dans Kant, mais dont elle a peut-être exagéré l’importance. C’est en somme par les lois des sensations, de l’association des idées et de l’imagination (seules facultés dont se compose la perception sensible) que l’esthétique actuelle s’efforce de rendre compte de la beauté : elle se réduit ainsi à n’être guère qu’une annexe de la théorie psycho-physiologique de la perception sensible. Mais la perception n’est, on l’a dit, qu’une hallucination vraie ; encore sa vérité se rapporte-t-elle tout entière à l’action ou à la vie pratique. Dès lors, le plaisir qui naît de la perception, le plaisir du beau est essentiellement illusoire : il ne répond à rien dans la réalité, il n’est que la conscience du jeu facile et harmonieux de nos facultés représentatives.

Jouffroy, dans ses leçons d’esthétique, avait entrevu un autre principe. C’est celui-là même que Guyau a retrouvé et mis en pleine lumière, le principe de la sympathie. Mais ce qui, chez Jouffroy, n’était qu’une hypothèse métaphysique, un peu sèche et passablement étroite, est devenu, chez Guyau, un système vivant et complet, grâce à l’interprétation biologique et sociologique qu’il a su donner de ce principe. La sympathie, en effet, est une des lois de la vie individuelle et sociale, peut-être même de la vie universelle. Ce qui fait la beauté des choses, c’est la vie qui se manifeste en elles et avec laquelle sympathise notre vie propre : la beauté, c’est l’expression de la vie. Par cela même,