après avoir débuté comme le plus modeste des psychologues, l’auteur conclut ou paraît conclure comme le plus ambitieux des métaphysiciens. Car enfin, ou nous ne comprenons rien, absolument rien, à la théorie de M. Joyau, ou cette théorie, qui repousse, d’une part, le déterminisme et a fortiori le fatalisme, de l’autre, le libre arbitre, doit forcément prétendre à une sorte de conciliation des contradictoires. En effet, dans la mesure où l’on repousse le fatalisme et son succédané, le déterminisme psychologique, on est partisan du système contraire, et dans la mesure où l’on s’écarte des défenseurs du libre arbitre, on redevient partisan du système opposé. Dès lors, pour s’entendre avec soi-même, il faut bien se résigner à une conciliation.
Nous venons d’en dire assez pour que le lecteur ne demande point au présent livre ce que les récentes études de M. Fouillée fourniraient en abondance. M. Joyau a entendu rester psychologue, psychologue à la mode d’antan. Par la langue, par la division des chapitres, par l’aisance aimable avec laquelle il se promène sur les confins de la métaphysique et de la psychologie, il rappelle quelques-uns de nos maîtres d’autrefois dont les curieux de philosophie ont tant vanté les qualités « françaises » d’élocution et de composition. On lit M. Joyau sans effort ; après qu’on l’a lu, rarement on a besoin de chercher ce qu’il a voulu dire. Ce sont là qualités de professeur et qui ont leur prix.
Ainsi, c’est en psychologue que M. Joyau entend traiter de la liberté : de la liberté, non du libre arbitre, gardons-nous de confondre : « Un certain nombre de philosophes contemporains, écrit-il dans l’Introduction, voudraient nous persuader d’en détourner les yeux en nous enlevant tout espoir de découvrir la vérité en pareille matière : « La question du libre arbitre, dit M. T. Ribot, est du domaine de la métaphysique et est insoluble ». M. Bain, l’auteur d’un livre bien connu sur les émotions et la volonté, lecarte avec une sorte d’impatience et de colère ; il l’appelle la serrure brouillée de la métaphysique, un paradoxe du premier degré, un nœud inextricable. Dans un discours célèbre, M. du Bois-Reymond range le problème de la liberté parmi les sept Enigmes du monde, et la conclusion à laquelle il aboutit se résume dans ce mot : Ignorabimus. Non, cette sentence prononcée au nom des principes du positivisme n’est pas légitime ; non, le problème de la liberté morale est de ceux qu’aucun système n’a le droit d’écarter par la question préalable, car ce n’est pas un problème de métaphysique. Il n’est pas besoin pour l’étudier d’autre chose que des données de la psychologie et de la morale ; les esprits accoutumés à toutes les exigences de la critique n’y rencontrent rien qui les déconcerte ; il peut être abordé et résolu scientifiquement. (P. vi.)
Le ton d’assurance sur lequel M. Joyau nous parle fera sourire plus d’un. Mais M. Joyau en a depuis longtemps pris son parti : il laissera sourire les incrédules. En outre, quand il parle de résoudre scientifiquement le problème de la liberté, on aurait mauvaise grâce à lui attribuer la conviction qu’il va clore l’une des plus graves controverses