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g. fonsegrive. — l’homogénéité morale

exprime sans plus se soucier de la logique les idées diverses et contradictoires qui constituent ce que l’on appelle l’esprit de son temps et de son milieu. Il parle en toute occasion comme le demandent les opinions reçues. Il ne choquera jamais personne, sauf la raison.

Mais il peut arriver que l’homme en qui s’incarne le personnage verbal ait des prétentions à philosopher, il cherche alors à éliminer les contradictions de l’esprit de son temps, il se fait une théorie, il ne professe point des morales successives, il tâche, au moins dans ses discours, de s’accorder avec lui-même. Un matérialiste, un évolutionniste, un chrétien ont leurs façons à eux de juger les choses de la vie et de discourir sur la vertu. Mais ils sont bien rares ceux qui ont la force d’aller jusqu’au bout de leur pensée. Où est le matérialiste qui ose soutenir la légitimité de tout plaisir, l’évolutionniste qui ose avouer la nécessité de supprimer les faibles et d’aider intelligemment la nature à favoriser les mieux armés, le chrétien qui, sans respect humain, ose soutenir la réalité des miracles ? Toutes ces conséquences pourtant font nécessairement partie des doctrines. Le matérialiste qui admet des différences de qualités entre plaisirs n’est pas matérialiste, l’évolutionniste qui respecte les faibles n’est pas évolutionniste, le chrétien qui ne croit pas au miracle n’est pas chrétien. Nous subissons tous, sans nous en douter, les formules verbales courantes, les opinions banales ; de là une résistance qu’éprouve notre langage et, par suite, notre pensée à exprimer des conséquences que nous reconnaîtrions bien vite si notre esprit n’était opprimé par l’habitude des formules vulgaires. C’est un de ces cas si bien signalés par M. V. Egger[1] où la parole extérieure est un obstacle à la vérité de la pensée, où « l’esprit doit lutter pour la vie contre le langage ».

Presque toujours donc le personnage verbal se tient dans la moyenne de la morale mondaine, et ses discours sont pavés d’inconséquences. Parfois cependant un effort généreux de pensée, qui demande une grande indépendance, parvient à lui faire construire un système cohérent, une théorie morale conséquente avec elle-même. Le personnage verbal peut donc être consistant ou inconsistant.

La série de nos personnages n’est pas close encore. En dehors même des actes que l’imitation sympathique a fait entrer dans notre caractère, il reste en nous l’image des autres actions que nous n’avons pas imitées, mais qui, par leur seule représentation, ont créé dans l’esprit une tendance à se reproduire.

  1. La parole intérieure. In-8o Alcan, 1881, dernières pages.