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auxquelles, sans cela, je ne ferais que céder. Le déterminisme n’en est suivant nous, ni plus grand ni moindre ; mais il est devenu liberté en devenant intelligent. Alors seulement en effet, mes actes sont vraiment miens y non sans doute par leur originalité (qu’importe ?) mais par leur assimilation. Notre liberté serait vraiment tout ce qu’elle peut être si nous pouvions (pur idéal) nous résoudre tout entiers en idées clairement comprises et logiquement liées, faire de toutes nos impulsions des motifs. Ces motifs, nous dit-on, sont souvent illusoires, étant inventés après coup. Sans doute, mais justement ce qui se produit alors ce n’est point du tout l’illusion du déterminisme, mais l’illusion de la liberté ; et pour qu’elle fût réelle, il faudrait que ces motifs fussent de vrais motifs. Parlant de ces faux motifs imaginés pour nous expliquer à nous-mêmes, M. Bergson écrit : « Il semble que nous tenions à sauvegarder le principe du mécanisme et à nous mettre en règle avec les lois de l’association des idées[1] ». C’est, à notre avis, l’interprétation absolument opposée qui conviendrait C’est au contraire notre liberté que nous tenons à sauvegarder ainsi. Nous ne voulons pas nous traiter comme un pur mécanisme, mais comme un être libre, suivant les formes de la finalité. C’est pour nous croire libres que nous cherchons des motifs justificatifs à une décision déjà arrêtée. « En nous interrogeant scrupuleusement nous-mêmes, nous dit-on encore, nous verrons qu’il nous arrive de peser des motifs, de délibérer, alors que notre résolution est déjà prise. Une voix intérieure, à peine perceptible, murmure : Pourquoi cette délibération ? tu en connais l’issue, et tu sais bien ce que tu vas faire. » Ici encore M. Bergson se montre fin psychologue ; mais le langage de cette voix intérieure est-il bien celui de la liberté ? N’est-ce pas plutôt celui du fatalisme, celui de la volonté qui s’abandonne ? « L’intei-vention brusque de la volonté est comme un coup d’État dont notre intelligence aurait le pressentiment et qu’elle légitime à l’avance par une délibération régulière. » Mais ces coups d’État n’en sont que par rapport à notre moi conscient, et non à l’égard du moi total. Ils surprennent notre raison, comme une révolution, pourtant préparée de longtemps par les confuses aspirations du peuple, surprend un gouvernement peu vigilant. Ce sont moins des coups d’État partis d’en haut que des émeutes qui viennent d’en bas et auxquelles les chefs renoncent à résister dès qu’ils les entendent gronder. Émeutes ou coups d’État, sont-ce là des gages de liberté ?

Ne remarque-t-on pas maintenant combien la thèse primitive a

  1. P. 421.