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g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

changé de caractère ? Tout à l’heure la liberté nous était présentée comme la simple spontanéité d’un moi indivisible qui agit tout d’une pièce, et alors nous objections que la liberté vraie, la liberté clairvoyante, risquait d’être étouffée par la masse des impulsions irréfléchies. Maintenant on la fait résider dans une volonté indépendante qui « veut pour vouloir », dont, l’acte loin « d’émaner naturellement » du moi total, constitue un coup d’État d’une partie du moi contre l’autre. Dans le premier cas, on pose un déterminisme relativement aveugle où nous avons reconnu les limites de la liberté et non la liberté elle-même. Dans le second cas, on pose un indéterminisme décidant d’une manière arbitraire (du moins aux yeux de la conscience claire) et qui ne ressemble pas davantage à la liberté. Cet arbitraire n’est lui-même que l’apparence produite par l’inconscience de la poussée que nous subissons, et dans les deux cas par conséquent, les véritables ressorts de notre action nous restent cachés. Comment dès lors pourrions-nous avoir le sentiment de notre liberté ? — « Quand nos amis les plus sûrs s’accordent à nous conseiller un acte important, les sentiments qu’ils expriment avec tant d’insistance viennent se posera la surface de notre moi… Petit à petit ils formeront une croûte épaisse qui recouvrira nos sentiments personnels ; nous croirons agir librement, et c’est seulement en y réfléchissant plus tard que nous reconnaîtrons notre erreur. » Mais serait-ce une erreur ? Ne serait-ce pas au contraire dans ce cas que nous serions vraiment libres, puisque nous obéirions à des raisons comprises et acceptées au lieu d’obéir à des instincts obscurs et à des impulsions inexprimables ? « Mais aussi, continue M. Bergson, au moment où l’acte va s’accomplir, il n’est pas rare qu’une révolte se produise. C’est le moi d’en bas qui remonte à la surface… En recueillant nos souvenirs, nous verrons que nous avons formé nous-mêmes ces idées, vécu nous-mêmes ces sentiments, mais que, par une inexplicable répugnance à vouloir, nous les avons repoussés dans les profondeurs de notre être chaque fois qu’ils émergeaient à la surface[1]. » Il nous semble qu’au contraire ce refoulement « du moi d’en bas qui remonte à la surface », des impulsions profondes par les idées claires, est l’expression même du vouloir et de la liberté, loin d’être le fait d’une « inexplicable répugnance à vouloir ».

Ainsi M. Bergson, comme nous le disions, pour ruiner le déterminisme, est amené à concevoir la liberté sur un type qui est au moins aussi éloigné du témoignage de la conscience commune que peut l’être la conception des déterministes. Ceux-ci ont incontestablement

  1. P. 129-130.