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g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

absolu est une fiction. L’action est une chose complexe et qui dure ; avant d’être accomplie, il faut qu’elle commence ; et quand elle s’accomplit, il faut qu’elle s’achève ; qui plus que M. Bergson lui-même insiste sur cette pénétration mutuelle des états de conscience, caractéristique de ce qu’il appelle la durée vraie ? Mais alors l’idée d’un moment présent est une véritable abstraction ; ce moment n’est point détaché du précédent ni du suivant ; il ne leur est point extérieur comme le sont entre eux les lieux contigus de l’espace. Toute la doctrine de M. Bergson est une protestation contre l’établissement d’une pareille assimilation. S’il en est ainsi, chaque moment de la durée vraie de la conscience est un commencement et un achèvement, c’est-à dire une liquidation du passé et un engagement pour l’avenir. Que veut-on dire autre chose en parlant d’une détermination ? Qu’est-elle sinon précisément cette liaison intime des événements qui nous empêche d’isoler un présent absolu ? On a donc prouvé que la prévision ne saurait être adéquate à la détermination, mais non que celle-ci fut absente.

Arguera-t-on de ce que l’auteur de l’acte, seul bien placé pour le prévoir, puisque seul il peut en réunir les conditions, cependant ne Je prévoit pas en fait. Mais alors nous nous demanderons si cette absence de prévision est favorable à la liberté. C’est le contraire qui nous semble vrai. L’incertitude de l’avenir n’est point un élément de liberté et d’activité, mais plutôt de passivité et d’inertie. Dans l’incertitude, je n’ai d’autre ressource que d’attendre et de voir venir les événements. Sans doute, si je prévois mes actes, je ne les prévois point comme indépendants de ce que je suis actuellement, à la façon dont je pourrais prévoir la pluie et le beau temps. C’est alors en effet qu’ils m’apparaîtraient comme fatals ; ce genre de prévision est précisément celui que nous écartions tout à l’heure comme contraire à la liberté ; c’est la prévision de celui qui se dit : la délibération est inutile ; l’acte est déjà fixé. Nous les prévoyons au contraire comme liés à notre état présent, comme nôtres enfin ; c’est ce qui fait leur liberté, mais cela suppose aussi leur détermination. Cette prévision, dira-t-on, est toujours insuffisante et imparfaite. Évidemment, mais c’est tant pis et non tant mieux pour la liberté. C’est ce qui la limite et non ce qui la fait. C’est qu’il y a toujours, hors de nous, des événements qui nous dominent et déjouent nos calculs. C’est aussi qu’il y a toujours en nous des tendances inconscientes, des poussées inaperçues qui se développent sourdement sous le moi réfléchi et clairvoyant, et qui éclatent soudain, le déroutent et le bouleversent ; comme ces vagues de fond qui surgissent tout à coup à la surface d’une mer paisible et limpide, le « moi d’en bas » se soulève et fait