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g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

De fait, M. Bergson s’est vu forcé de prendre directement à partie le déterminisme physique. Nous ne voulons ni ne pouvons évidemment traiter à fond une telle question. Nous nous demanderons seulement si M. Bergson a réussi à échapper à ce déterminisme, et si, d’autre part, les arguments qu’on lui oppose ne compromettent pas parfois la liberté elle-même. Deux moyens s’offrent à l’esprit pour dégager la liberté des entraves du déterminisme physique : ou bien on s’efforcera de disjoindre le physique et le moral, et d’en détruire partiellement la corrélation, ou bien on s’attaquera au fondement même du déterminisme, au principe de conservation.

Sur le premier point, on essaye d’établir que la corrélation du physique et du psychique n’est nullement prouvée d’une manière générale. Elle n’existerait même qu’à titre exceptionnel et ne serait constatée que pour des cas où justement personne ne fait intervenir la volonté. Il nous semble qu’au contraire cette corrélation est un fait si général que la preuve incombe beaucoup plutôt à ceux qui la nient qu’à ceux qui l’affirment. C’est même peut-être l’extrême familiarité de ce fait, la banalité de cette expérience qui nous en fait oublier les plus éclatantes manifestations, et ne nous laisse attentifs qu’aux cas plus rares et plus particuliers que révèlent les recherches savantes. Mais, à ne considérer même que ces dernières, on peut dire qu’elles tendent toutes à fortifier la conviction d’une constante connexion d’un substrat physique avec tous les phénomènes psychiques. Et les faits volontaires n’échappent nullement à cette règle. On ne peut manquer d’être frappé du rôle de plus en plus considérable attribué dans ces phénomènes aux contractions musculaires. L’idée d’une volonté purement intérieure qui ne se manifesterait par aucun effort, aucune tension physique, perd de jour en jour du terrain. Les lecteurs de cette Revue n’ont pas besoin qu’on leur rappelle à cet égard la théorie récente de l’attention qui a été exposée ici même. Il ne s’agit point ici de discuter ces théories (ce que M. Bergson ne fait pas d’ailleurs), mais seulement de montrer combien est aventureuse l’hypothèse d’un défaut de correspondance entre le physique et le moral.

Mais demandons-nous maintenant si, même en l’acceptant, nous aurions sauvé la liberté. On se le figure volontiers parce que l’on aurait ainsi fait pièce au déterminisme, et que l’on part de cette idée préconçue, mais non justifiée, que le déterminisme est le contraire de la liberté. Mais ce succès remporté sur un faux ennemi pourrait bien être fatal à ceux qui l’escomptent, et il nous semble que ce que le déterminisme perdrait, la liberté serait loin de le gagner. Qu’arriverait-il, en effet, dans la supposition d’une incom-