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force à celle d’indétermination. Suivant lui en effet, « la notion de force exclut en réalité celle de détermination nécessaire ». Pour l’affirmer, il s’appuie sur une analyse nouvelle de l’idée de cause ; suivant lui l’idée de cause, telle que nous l’appliquons ordinairement, est un composé hybride de deux notions très différentes. L’une, tirée du moi, applicable à la durée hétérogène, qualitative, à laquelle le temps n’est pas indifférent, est celle d’une « préformation des actes à l’état d’idée », l’autre, exclusivement applicable à la durée homogène, à l’objectif, au quantitatif, se ramène à l’idée d’une équivalence mathématique indifférente au temps[1]. La conscience témoignerait que « l’idée abstraite de force est celle d’effort indéterminé, celle d’un effort qui n’a pas encore abouti à l’acte et où cet acte n’existe encore qu’à l’état d’idée », « à l’état de pur possible qui ne sera peut-être pas suivi de l’action correspondante ». Il nous semble qu’il est bien difficile de concevoir un effort indéterminé, une tendance sans direction. S’il est possible de former ce concept, au moins faut-il reconnaître qu’il est une pure abstraction. Il est possible aussi de considérer un mouvement en négligeant soit sa vitesse, soit sa direction ; mais cela ne veut pas dire qu’un mouvement réel étant donné, il n’ait pas une vitesse et une direction déterminée. M. Bergson, qui reproche aux déterministes d’oublier la réalité concrète, ne serait-il pas à son tour victime d’une de ces abstractions, d’une de ces réfractions mentales qu’il excelle à découvrir ? Il nous semble en effet que cette apparente indétermination dans la notion d’effort est simplement une abstraction résultant plus ou moins spontanément de la diversité même de nos tendances et de la multiplicité de nos expériences. Nous arrivons ainsi à isoler la notion de force de celle du fait ucluel d’un effort particulier. Mais c’est là une simple fiction mentale, et dès que nous essayons de la transporter dans le concret elle nous paraît contradictoire ; c’est comme si nous voulions nous représenter la force d’un ressort tendu, en supprimant la pensée de la pression actuellement exercée par ce ressort sur son cran d’arrêt. Quant à la conscience immédiate dont on invoque le témoignage, à plus forte raison elle ne nous révèle point, suivant nous, d’effort indéterminé. Nous éprouvons bien, il est vrai, dans quelques cas, des aspirations vagues dont nous ne saurions définir l’objet, certaines inclinaisons inquiètes auxquelles nous sommes incapables d’assigner aucune fin précise. Mais c’est seulement pour notre intelligence qu’elles paraissent

  1. Nous regrettons de ne pouvoir, faute d’espace, mettre cette remarquable analyse sous les yeux du lecteur. V. Essai…, p. 161 sqq.