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g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

justifie la liberté tantôt par sa présence, tantôt par son absence. Au début la liberté est fondée sur la pénétration mutuelle des états de conscience ; on nous montre jusque dans la sensation elle même un commencement de liberté, parce qu’elle renferme « l’esquisse et la préformation des mouvements automatiques futurs » (p. 25), et on définit l’acte libre, celui qui « émane du moi » sans intervention étrangère (p. 132). Puis peu à peu la thèse inverse prend le dessus : l’acte de la volonté est présenté comme un ce coup d’Etat » ; « les moments successifs du temps réel ne sont pas solidaires les uns des autres » (p. 158) ; la conception dynamique suppose « que l’avenir n’est pas plus solidaire du présent dans le monde extérieur qu’il ne l’est pour notre propre conscience » (p. 163).

Il est impossible de supposer qu’un aussi pénétrant dialecticien se soit aussi formellement contredit et en effet sa théorie renferme une réponse à notre critique ; il serait injuste de la méconnaître. C’est qu’en effet la solidarité, disons même le déterminisme peuvent être admis entre le passé et le présent sans être affirmés entre le présent et l’avenir. Une fois l’événement arrivé, il faut bien que nous puissions l’expliquer, et nous le pourrons toujours par des raisons plausibles. Mais cette connexion est établie après coup pour la satisfaction de notre raison discursive. Le passé est fixé, il ne peut pas ne pas avoir été, il est devenu une chose justiciable de l’entendement et de l’analyse. Mais au moment où elle agit, l’activité est un progrès auquel nous n’avons aucun droit d’appliquer les mêmes procédés. Quand le chemin est tracé, nous pouvons en analyser les directions et les détours ; mais il n’est pas tracé d’avance ; ici c’est la marche qui fait le chemin et non le chemin qui détermine la marche. Nous avons à expliquer ce qui est donné, non ce qui ne l’est pas[1]. Mais cette réponse ne nous satisfait pas complètement ; d’abord parce que l’auteur lui-même ne se tient pas rigoureusement à ce point de vue puisqu’il nous parle de la « préformation » de l’avenir dans le présent. Ensuite parce qu’il est aussi nécessaire au sentiment de notre liberté de pouvoir lier notre avenir à notre présent dans notre décision, que de pouvoir, une fois l’acte accompli, nous en rendre compte par des raisons tirées de notre conscience.

En fin de compte, la raison de ces fluctuations dans la pensée de M. Bergson paraît être dans la dualité même de son point de

  1. Cette distinction est si bien au nœud de la question qu’elle rappelle une des premières formules précises qui aient été données du déterminisme, le κυριεύων λόγος de Diodore le Mégarique. Ce raisonnement consiste essentiellement, en effet, à prétendre que le passé, avant sa réalisation, était déjà nécessaire, parce qu’une fois réalisé, il est impossible qu’il ne soit pas.