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départ. Deux idées en effet très différentes et peut-être opposées dominent sa conception de la vie interne, l’idée de l’indéfinie hétérogénéité qualitative des états psychiques, et celle de leur pénétration mutuelle. Si deux états psychiques successifs, si voisins qu’on les suppose, sont qualitativement hétérogènes, alors il semble que la vie de l’âme se résolve en une poussière infinitésimale où aucune liaison, aucune teneur, aucune pénétration des états successifs, aucune identité psychique ne semble plus possible. Y a-t-il au contraire une semblable pénétration ? Cela veut dire qu’on pourra toujours prendre deux états assez voisins pour que par leur qualité, leur nature ils se rappellent l’un l’autre et qu’ensemble ils ne fassent pour ainsi dire qu’un tout, tandis qu’ils diffèrent seulement par le degré, comme deux nuances très voisines d’une même couleur. Mais alors on reconnaîtra quelque élément quantitatif dans la vie interne. Telle est suivant nous la difficulté primordiale qui vicie la doctrine et jette en particulier tant d’obscurité sur cette conception de la « durée vraie » de la vie interne à laquelle est suspendue toute la théorie.

Il est maintenant aisé de voir ce qui, à nos yeux doit rester, ce qui au contraire nous paraît difficile à maintenir dans la doctrine que nous venons de discuter.

On ne saurait d’abord faire trop grande la part de cette vérité, profondément comprise par M. Bergson : que c’est dans la nature propre de la vie consciente, par opposition à la réalité objective, qu’il faut chercher la justification de la liberté. Si le déterminisme paraît si communément contraire à la liberté, c’est parce que, consciemment on non, on ne l’envisage que sous sa forme mécanique. Et en effet dans l’ordre mécanique il l’exclut évidemment. D’abord parce que, soumis à l’espace, il revêt la forme d’une contrainte : une bilié de billard en frappe une autre, cette dernière appâtait comme purement passive, et il en est ainsi de tous les termes de la série, parce qu’ils restent toujours extérieurs les uns aux autres. Mais quand une idée en appelle une autre, elles font toutes deux partie d’une même unité consciente, et c’est par rapport à cette unité qu’il y a liberté, car elle inclut à la fois le déterminant et le déterminé. Et si nous nous pensions clairement dans notre totalité, si nous étions pour ainsi dire de cristal pour nous-mêmes, notre liberté serait tout ce qu’elle peut être, puisque nos déterminations nous paraîtraient alors adéquates à notre être. — D’autre part le déterminisme mécanique se déroule dans le temps, suivant la forme d’une pure succession où le passé n’est plus rien, où l’avenir n’est rien encore ; par là encore les termes de la série mécanique sont en dehors les uns des