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g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

autres et la liberté en est exclue. La conscience au contraire se souvient et prévoit, et dans cette mesure même, échappe au temps et possède comme un rudiment d’éternité ; et ainsi nous sommes libres, non parce que les moments de notre existence ne se tiendraient pas entre eux, mais au contraire parce qu’ils se tiennent et que nous le voyons. Dans l’univers physique aussi les moments sont liés ; mais ils ne le sont que pour notre pensée, « l’univers n’en sait rien ». Et ici encore ce qui manque à notre liberté, c’est une plus grande extension de notre son venir et de notre prévision, qui ferait que nous resterions plus complètement nous-mêmes à travers le temps. C’est l’oubli et l’imprévoyance qui la restreignent et nous rendent à chaque instant victimes des contraintes du dehors et des surprises du dedans. Si notre mémoire était intégrale et nos inductions sans lacunes nous serions idéalement libres, car nous serions toujours parfaitement adaptés à nous-mêmes.

Ainsi la liberté n’est bien, comme le voulait au premier abord M. Bergson, qu’un caractère de l’activité. Elle résulte, non de ce que l’activité appelée libre serait sans lois, mais de ce que ses lois sont d’une autre nature que celles du monde physique. Par cela même nous pensons que pour défendre la liberté il n’était pas nécessaire de vouloir supprimer le déterminisme, mais seulement de l’interpréter. Car ce n’est pas en tant que déterminisme, mais en tant que mécanique et objectif, que le déterminisme serait contraire à la liberté ; la liberté, telle est notre conviction, ne peut rien devoir à l’hypothèse d’une contingence des futurs ; bien au contraire elle ne peut qu’en être compromise. Il faudrait renoncer, suivant nous, à confondre deux questions si différentes, et à donner du problème une formule et une solution qui lui sont complètement étrangères.

En second lieu, M. Bergson cherche la liberté à un pôle de la vie psychique précisément opposé à celui où elle nous paraît se trouver. Si la liberté est le résultat de la subjectivité, c’est dans les formes les plus élevées de la vie psychique qu’elle doit être le plus complète. Ce n’est donc pas dans le « moi profond », mais dans le moi supérieur qu’il faut la chercher, dans le moi réfléchi et intellectuel. Car d’abord notre vraie unité mentale n’est pas dans les sources qui alimentent notre conscience, mais dans leur confluent ; elle est, en fait, le terme, et non le point de départ. Le « moi profond » est au contraire relativement fragmentaire ; plus loin on le pénètre, et plus on trouve une pluralité de consciences à la place de l’unité de conscience. C’est là qu’on rencontre, au lieu de la liberté, l’automatisme ; au lieu du vouloir, les impulsions aveugles ; au lieu de l’harmonie et du consensus, les incohérences, les contradictions, les obscures