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notes et discussions

técédents suffisants. La preuve, c’est, d’une part, la régression illimitée, à laquelle il vient d’être fait allusion, dans la série des antécédents ; c’est, d’autre part, l’universelle réaction des choses dans le sens de la coexistence. L’une et l’autre semblent incontestables à M. L… « Il n’est pas un événement, dit-il, quelque insignifiant qu’il soit, qui n’ait pour cause, c’est-à-dire pour « la somme de ses conditions positives et négatives », tous les événements concomitants de l’univers ». De même, « il n’est pas possible de s arrêter dans la régression continue qui nous fait reculer dans la série illimitée des antécédents ». — Pour notre part, nous n’admettons pas cette régression illimitée. Et d’abord, pour la science, il ne doit pas même y avoir de régression. Si l’on en parle, c’est qu’on se représente métaphysiquement certains faits comme s’étant passés hors de la conscience, comme ayant existé avant elle : force est bien de reculer vers les faits placés en arrière, quand on veut les trouver. Mais qu’on se mette à un point de vue strictement phénoménal, qu’on se souvienne des limites théoriquement infranchissables de l’expérience et de la science, bref qu’on se maintienne dans le monde des faits de conscience, et l’on comprendra sans peine qu’il ne saurait se produire autre chose que des progressions. La série des faits de conscience, même quand il s’agit du passé, ne se déroule que dans le sens du présent à l’avenir. On avance toujours, on va toujours vers du nouveau, même quand on croit reculer vers de l’ancien. — Qu’importe, dira-t-on, si cette progression conduit aux mêmes termes et se produit dans les mômes conditions qu’une régression ? Il y a pourtant cette différence, c’est que, avec la progression, nous n’allons pas d’antécédent en antécédent, mais de conséquent en conséquent ; c’est que, comme nous l’avons montré ailleurs[1], nos investigations scientifiques ne sont pas, à rigoureusement parler, des recherches de causes, mais des productions d’effets ; c’est que, en croyant expliquer un fait dont la différence d’avec l’état de conscience précédent nous a surpris, nous tendons seulement à la reproduction idéale de ce fait à la suite d’intermédiaires toujours plus rapprochés de lui et de nature à faire cesser notre surprise. — Mais encore, dira-on, qu’importe si la série de ces intermédiaires ou de ces conséquents est illimitée comme le serait la série des antécédents ? C’est que justement elle ne l’est pas. Ce qui est illimité, c’est la série des faits de conscience en général, ce n’est pas la série des intermédiaires qui doivent conduire sans écart différentiel considérable à l’analogue d’un fait déjà produit. La preuve, c’est que ce nouveau fait peut avoir lieu quand on veut ; on peut donc arrêter aussi quand on veut la série qui y conduit. Vous désirez, par exemple, expliquer l’audition du tonnerre, c’est-à-dire arriver à la reproduction idéale de cette audition par des états de conscience établissant une transition insensible : n’êtes-vous pas libre de hâter ou de retarder cette reproduction idéale, et par conséquent d’arrêter plus ou moins

  1. Le Phénomène, esquisse de philosophie générale, p. 209.