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notes et discussions

qu’il ne saurait exclure l’être, dont il marque simplement l’absence sur certain point, et sans lequel il ne serait même pas pensable. — Mais la distinction, soit d’existence, soit d’essence, ne serait-elle pas condamnée à d’autres égards et plus directement, par exemple par ce même principe de causalité qui, d’autre part, Pcxige ? M. L… le prétend. « Une relation entre deux phénomènes distincts, dit-il, serait un mystère et un miracle. » Oui, sans doute, s’il n’y avait que distinction dans le phénomène ; oui, si l’on ne trouvait pas partout et toujours les dualités dont il a été question, la continuité aussi bien que la discontinuité, la ressemblance en même temps que la différence. Mais voici, avec ces dualités d’éléments fondamentaux, il y a dans chaque nouveau fait comme une prolongation du précédent. Nous disons bien prolongation, car la ressemblance, c’est l’absence de lutte, de résistance, d’usure, et par conséquent c’est la stabilité. Donc, tout en étant réellement distinct, tout en ayant sa marque propre, et bien que formant un tout fermé, une existence achevée, bref un fait, le terme suivant n’est pas sans rapport avec le terme précédent ; il est constitué partiellement par lui, il est lui avec un autre élément différentiel ; on peut bien dire qu’il est quelque chose de nouveau, mais du nouveau où se retrouve de l’ancien et dont l’ancien est la condition. Voilà un rapport, le rapport même de causalité. Sans doute un élément reste toujours en dehors de ce rapport ainsi compris, élément tantôt fort, tantôt faible ; mais est-il nécessaire que le fait concret appelé cause contienne entièrement le fait concret appelé effet ? Non, car il n’existerait plus alors qu’un seul terme et il n’y aurait pas lieu d’appliquer le principe de causalité. Si c’est un échec pour la science, tant pis ; la science ne saurait jamais être qu’une approximation de la réalité.

Cependant, si le concept de causalité reste intelligible, c’est grâce à son rapprochement avec celui de persistance. Or M. L… n’aurait-il pas raison de dire que ce concept ne fait qu’un avec celui d’identité mathématique, et n’aboutirions-nous pas ainsi, en dépit de nos critiques, à la même conclusion que lui ? Ce n’est pas notre avis. La causalité et l’identité mathématique demeurent en face l’une de l’autre comme deux formes bien distinctes du même concept. La causalité, c’est l’identité (mais encore ce mot est-il trop fort) portant sur la nature, l’essence, la qualité des choses ; l’identité mathématique, c’est l’identité portant sur l’être vu du dehors, sur le tout fermé qui fournit l’unité numérique, sur la quantité des choses, abstraction faite de leur nature. Ce sont là deux catégories bien distinctes, alors même que la science est appelée constamment à les rapprocher. Donc, modifions les formules du principe de causalité, rectifions-en les applications, mais gardons-en le caractère distinctif. Telle est notre conclusion : nous regrettons de ne pouvoir en ce moment en éclaircir davantage le sens et en développer plus longuement les preuves.

J.-J. Gourd.