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incohérence révolte le sens commun et fait vivement sentir la nécessité d’établir entre ces choses un ordre logique, c’est-à-dire de les soumettre à un groupement régulier. Et maintenant pour réaliser ce desideratum, il sera aisé de le faire comprendre, il y aura lieu de tenir compte des deux grands ordres de rapports taxinomiques dont j’ai affirmé plus haut l’existence distincte. En effet, quel est le rapport que soutiennent les termes lettre, voyelle, syllabe, vis-à-vis du terme mot ; et les termes mot et phrase vis-à-vis du terme discours ? Évidemment, c’est un rapport de partie à tout, un rapport de simple à composé. Mais est-ce par hasard un rapport de même nature que celui qui s’observe entre les termes a, b, c, d et le terme lettre ? entre les termes substantif, adjectif, verbe, préposition, et le terme mot ? Non, assurément. Ici nous sommes en présence d’une relation purement logique, catégorique, nominale, et non d’une relation réelle, comme dans l’autre cas. Là il s’agissait d’une relation partitive, il s’agit cette fois d’une relation abstractive, de la relation du particulier au général, de l’espèce au genre, et en aucune façon de celle qui existe entre l’idée d’élément et l’idée d’agrégat, entre l’idée de membre et l’idée de corps.

La classification grammaticale a su tenir compte de cette distinction capitale. D’abord elle a établi, comme charpente de son édifice, une échelle de composition progressive dont elle a indiqué les échelons successifs par les noms que voici : la lettre, la syllabe, le mot, le membre de phrase, la phrase, pour aboutir enfin au collectif total, le discours. Et puis de chacun de ces termes, de chacun de ces nœuds, de la série de composition ou collectivité, elle a fait un genre sur lequel s’embranchent des espèces congénères, lesquelles seront par exemple pour le terme générique lettre, les termes spécifique voyelle, consonne ; pour le terme générique mot, les termes spécifiques substantif, adjectif, adverbe, verbe, etc. Eh bien, disons maintenant que le problème de la taxinomie anatomique et physiologique, c’est-à-dire de la classification naturelle des parties du corps et de ses fonctions, est pour ainsi dire calqué sur celui de la taxinomie grammaticale, dont nous venons de prendre un aperçu, et qu’à l’instar de ce dernier, sa solution doit être demandée à une juste combinaison de l’ordre abstractif et de l’ordre collectif. Mais, moins philosophes que les grammairiens, anatomistes et physiologistes s’étaient montrés incapables de s’élever à cette vue quand Bichat apparut. Jusqu’à lui, les parties du corps humain et ses fonctions s’offraient à l’esprit dans le beau désordre où nous venons de nous figurer par hypothèse les objets de l’inventaire grammatical, c’est-à-dire dans un pêle-mêle chaotique où la situation réciproque des choses,