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d’ajouter d’autre part que cette sensibilité, cette intelligence, ce savoir, cette mémoire, cette volonté sont privés de sujet, c’est-à-dire que ces états subjectifs existent en l’absence de toute conscience qui sent, comprend, connaît, se souvient, veut ? Non, assurément, car un pareil jugement se contredit lui-même. Et pourtant ce jugement contradictoire dans les termes, cette logomachie, tranchons le mot, cette absurdité, est aujourd’hui le propre de nos physiologistes, qui nous parlent couramment et sans sourciller d*une sensation et d’une sensibilité inconscientes, c’est-à-dire d’une sensation qui n’est pas sentie, et d’une sensibilité qui ne sent pas.

On me répondra : Malgré tout et malgré votre dialectique, il reste le fait avéré, le fait brutal, le double fait que voici : d’un côté, des sensations, des intellections et des volitions attestées par certains mouvements incontestablement intentionnels et habilement combinés en vue d’un but déterminé, et d’un autre côté les protestations de notre moi affirmant se sentir absolument étranger et à ces sensations, et à ces intellections, et à ces volitions.

J’en conviens, grande était la difficulté du problème ainsi posé, et jusqu’à un certain point notre physiologie trop peu métaphysicienne est excusable d’y avoir trébuché. Mais ces défaillances cessent de lui être permises maintenant, la pierre d’achoppement étant écartée grâce à une notion physiologique nouvelle, celle de la pluralité psychique dans l’organisation animale, celle de la présence, dans chaque centre nerveux, d’un centre psychique, d’un moi. Les sensations, les volitions dites inconscientes sont telles en effet pour moi, c’est-à-dire pour mon individu psychique, en qui elles ne se passent point, mais elles sont conscientes pour un autre moi que le mien, pour le moi distinct qui résido dans le cerveau secondaire, dit centre réflexe ou automatique, auquel se rattachent les manifestations énigmatiques considérées.

Je ne m’arrêterai pas à faire ressortir les conséquences que ce polyzoïsme et ce polypsychisme humains pourront avoir pour l’avenir des doctrines ayant eu cours jusqu’à présent tant en psychologie qu’en morale et qu’en eschatologie. L’intelligence du lecteur y suppléera.

II — Aussi grandes que soient la diversité et la complexité des fonctions vitales chez l’homme, elles n’ont toutes au fond qu’une même loi, et cette commune loi s’exprime par une formule très simple. En effet, toute fonction se réduit à la mise en rapport d’un agent psychique avec les agents de la matière pour la modification, soit de ceux-ci par celui-là, soit du premier par les seconds ; et cette mise en rapport s’effectue au moyen d’un instrument organique