Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXX.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
g. sorel. — contributions psycho-physiques

pour le calculateur. Ce qu’il faudrait, ce serait l’introduction d’éléments provoquant l’idée d’une tonicité. Le tracé géométrique est mort, passif, incapable de provoquer un jugement psycho-physique ; des formes rationnelles évoqueraient l’idée de forces internes, muscles puissants, tous en action, employés à maintenir les diverses parties de l’œuvre. Ces lignes droites ne disent rien, parce qu’elles sont aussi bien appliquées aux tensions qu’aux compressions et que, d’autre part, la position rectiligne est celle du muscle relâché.

Les artistes du moyen âge paraissent avoir connu la théorie de Galien sur les muscles ; d’après le célèbre médecin grec, les muscles ont un mouvement propre, qui tend à les faire se contracter. En adoptant des formes convenables, on pouvait donc obtenir l’idée d’un resserrement entre toutes les parties du squelette métallique.

Il faut reconnaître que cette règle n’est pas toujours comprise au xve siècle ; ainsi dans un exemple donné par Viollet-le-Duc[1], on a mis sous un balcon une fourche dont les branches courbées sont supposées tendre à se redresser. L’idée n’est pas très heureuse ni très clairement exprimée ; car on pourrait, tout aussi bien, comprendre que les branches fléchissent sous le poids du balcon.

Les édifices gothiques nous ont habitués à considérer les choses à un point de vue que les Romains ne connaissaient pas : leurs voûtes sont maintenues par des massifs, dont la convenance ne peut être appréciée que par un constructeur armé de la règle et du compas : l’école classique suit la tradition romaine. Les Grecs, au contraire, cherchaient à provoquer l’idée d’une compression générale vers le centre : c’est pour cela qu’ils infléchissaient les grandes lignes, qu’ils dévoyaient les colonnes d’angle, etc. Les gothiques adoptèrent le même principe ; mais, comme ils s’adressaient à une population moins subtile, ils durent exagérer bien davantage les formes comprimantes : de là ces grands arc-boutants qui semblent devoir écraser le chœur de Notre-Dame, l’importance donnée aux clefs et enfin ce système des clefs pendantes qui, à la décadence, portent une partie du poids des nervures.

Cette éducation nous rend insupportable toute construction qui semble devoir s’élargir, qui est retenue, et non comprimée. En Italie nous rapportons les édifices aux types romains et non aux types gothiques et nous ne nous jugeons plus les tirants aussi sévèrement qu’en France.

Depuis quelques années les constructeurs font de grands et louables efforts pour améliorer les formes des ouvrages métalliques ; ils cher-

  1. Dictionnaire, t.  VIII, p. 359.