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de timidité et de paresse, pour que les chrétiens, comme les athées, la combattent, et c’est ce que ne manque pas de faire, sous des formes diverses, le parti le plus florissant.

Si les raisons historiques ou de sentiment ne doivent pas suffire à nous faire accepter les pratiques d’une religion, à plus forte raison, ses croyances. Il se produit en ce moment-ci une réaction peut-être outrée contre la polémique antireligieuse du xviiie siècle. Que cette polémique ait été mesquine, inintelligente, étroite, c’est vrai ; mais ce qui est vrai aussi, c’est que, au fond, Voltaire avait raison quelquefois, les croyances qu’il combattait ne nous satisfont pas plus que lui et les raisons qu’il invoquait pour les combattre, si elles prouvent que Voltaire ne savait pas tout ce qu’on sait aujourd’hui, ne portent pas moins en certains cas, si on se place non au point de vue de l’histoire et de la formation des religions, de la grandeur et de l’importance de leur rôle historique, mais de leur vérité intrinsèque. Ne soyons pas contre lui aussi étroit qu’il l’a été lui-même, puisque en ce siècle nous en serions moins excusables que lui, et si le raisonnement vulgaire, le bon sens, la logique élémentaire, grossière si l’on veut, ne suffisent pas à tout, ni même, si l’on veut, à grand’chose en philosophie, n’en concluons pas qu’ils ne soient absolument bons à rien.

Aujourd’hui les croyances catholiques paraissent regagner sous des formes parfois peu orthodoxes une partie du terrain perdu, la jeunesse ne leur est pas hostile ; des écoles où dominait autrefois l’esprit de Voltaire, s’ouvrent plus largement à l’idée religieuse. Dans le roman, dans la critique, une grande bienveillance pour le catholicisme, sinon une acceptation complète, ne sont pas chose rare. En publiant le Disciple dans la Nouvelle Revue, M. Bourget terminait son roman par le retour du vieux savant brisé, moralement anéanti à la prière de son enfance : « Notre Père qui êtes aux cieux ». L’œuvre finissait par ces mots. Quand elle parut en volume, l’auteur ajouta quelques lignes pour compléter sa pensée, et, en somme, expliquer mieux la conversion d’Adrien Sixte, tout en la rendant moins nette. Comme fait psychologique, le revirement du vieux philosophe n’a rien d’invraisemblable, c’est un de ces retours de la dernière heure, analysés par M. Ribot. Dans le naufrage des croyances acquises, des idées obtenues par le travail, dans le désarroi de tous les sentiments, on voit reparaître, avec la fraîcheur des impressions de l’enfance oubliées depuis longtemps, les premières impressions religieuses, les croyances de l’âge disparu. Il est possible que la société dans son ensemble présente un phénomène analogue, elle est vieille aussi, et ses croyances, ses habitudes, ses sentiments anciens et