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REVUE GÉNÉRALE.le concept de matière

L’ouvrage de M. Bäumker s’arrête après les derniers néoplatoniciens. J’exprime le regret qu’il n’ait pas compris dans son plan les philosophes chrétiens. Au point où en étaient venus les païens après Plotin, la différence des religions doit, ce semble, être écartée alors qu’il s’agit de présenter l’histoire d’un concept particulier, mais d’une importance capitale. M. Bäumker a d’ailleurs montré, par quelques observations de détail, qu’il eût pu facilement enrichir son livre d’un chapitre substantiel et plein d’intérêt en faisant ressortir les doctrines sur la matière adoptées chez les Pères de l’Église et les exégètes chrétiens. La similitude de l’esprit qui les animait avec celui des néoplatoniciens mérite d’être mise en lumière, et en tout cas il importe évidemment de recueillir des renseignements précis sur les opinions courantes chez eux, en dehors des questions dogmatiques.

Le très volumineux ouvrage de M. Lasswitz permet au reste de combler dans une certaine mesure la lacune que je viens de signaler ; il remonte, en effet, jusqu’à Dionysius d’Alexandrie (dans Eusèbe, Pré. évang.), Lactance, saint Augustin pour rechercher dans leurs écrits les allusions qu’ils font à la doctrine atomistique et les objections qu’ils lui adressent.

L’objet de cet ouvrage est d’ailleurs proprement l’étude des conceptions relatives à la matière qui se firent jour lors de la Renaissance et se substituèrent à celles qui avaient presque exclusivement régné pendant le moyen âge. M. Lasswitz désigne ces nouvelles conceptions sous le nom de théorie corpusculaire ; il le qualifie d’ailleurs plus spécialement par l’épithète de cinétique, et il en conduit l’histoire jusqu’à Newton. Après celui-ci, la force ayant été isolée de la matière et substantialisée à son tour, la théorie corpusculaire subit une transformation profonde ; elle devint dynamique et garda ce caractère jusqu’à ce que les découvertes de notre siècle eussent établi entre les forces physiques des relations qu’elle était insuffisante à expliquer.

Il s’agit donc surtout, dans l’ouvrage de M. Lasswitz, d’un mouvement de transition bien limité, mouvement que dominent surtout les noms de Galilée, Descartes, Gassend, Huygens, et qui est aujourd’hui d’autant plus intéressant à étudier que, dans l’impasse où l’on se trouve désormais, on est conduit à de nouvelles tentatives qui retombent forcément dans le cercle d’idées alors parcouru. M. Lasswitz ne cache pas d’ailleurs sa prédilection pour les principes posés par les grands penseurs du xviie siècle, et son but est surtout de tirer de l’évolution historique qu’il étudie une conclusion systématique sur la façon dont la matière doit être conçue.

Ses deux volumes sont, en fait, plutôt composés pour les physiciens désireux de connaître à fond l’histoire de leur science que pour les philosophes de profession. Ceux-ci y trouveront, certes, de nombreux excursus qui leur sont particulièrement destinés, et les abondants développements relatifs au sujet principal les intéresseront sans nul doute ; mais peut-être trouveront-ils quelque peu oiseux des détails