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circonstanciés sur des points scientifiques spéciaux ou sur les ouvrages profondément oubliés de penseurs passablement inconnus. Si je fais cette remarque, ce n’est nullement pour critiquer M. Lasswitz ; je voudrais plutôt rassurer le lecteur que pourront effrayer deux volumes compacts sur un sujet, en fait, assez particulier. Il trouvera là une mine inépuisable de documents qu’il serait bien difficile de rencontrer ailleurs. On ne saurait trop admirer la patience et le soin déployés par fauteur pour les réunir. Mais j’ai hâte d’aborder l’exposé général de ses vues, que je vais essayer de résumer aussi succinctement que possible.

Historiquement, la théorie de la matière est loin d’être une ; les différentes doctrines doivent se classer d’après le caractère de l’intérêt que l’on attache à connaître l’essence du substratum des phénomènes : cet intérêt se rapporte à la critique de la connaissance (question de la possibilité de l’expérience), ou bien il est métaphysique (construction d’une intuition de l’univers) ou encore physique (explication de la nature).

Quand le point de vue physique domine, la théorie corpusculaire se développe ; sa formation constitue un problème philosophique intéressant. Il s’agit de déterminer en quoi consistent les moyens employés par la pensée pour réduire sous la formule de règles ou de lois l’explication des phénomènes de la nature.

On rencontre tout d’abord deux modes fondamentaux de relations sur lesquels paraît reposer la possibilité du problème ; ce sont la substantialité et la causalité ; le premier moyen domine l’ensemble de la métaphysique, en tant qu’elle dérive du cercle intellectuel parcouru par Platon ; le second triomphe dans la science moderne, mais il lui a fallu le secours d’une analyse du mouvement qui n’a été accomplie qu’après Newton. Le moyen de penser (Denkmittel) de la substantialité, consistant à attacher des prédicats à un sujet pour en faire un objet particulier perceptible et doué de propriétés, offrit au contraire, dès l’origine, un champ commode à l’activité de l’abstraction.

La pensée psychologique découvre des lois générales ; ce qui est conçu suivant ces lois est reconnu comme une réalité ayant une valeur objective. La réalité est dès lors fondée sur un a priori ; la connaissance se limite à la division des concepts ; elle laisse en dehors le particulier et le sensible, mais n’en permet pas moins une synthèse qui reproduit ce sensible au moyen des éléments purement rationnels abstraits de la perception. Ce résultat ne pouvait au contraire être atteint par l’atomistique ancienne. Mais cette dernière permettait l’application du principe de causalité, qui devait la transformer, tandis que ce principe était exclu des recherches scientifiques par le triomphe exclusif de la substantialité.

La lutte entre la doctrine atomistique et le réalisme scolastique se concentra sur le problème de la continuité, niée par la première, affirmée par le second. Pour échapper à la nécessité de soutenir l’existence du vide, quelques partisans des atomes (la secte arabe des Muta-