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séparation que l’on a faite entre la conscience d’une part et tous les autres phénomènes (l’autre part, s’explique par ce fait bien évident que les autres phénomènes sont généralement perçus ensemble, au lieu que le fait de conscience est perçu seul, et que les phénomènes de tact et de vision, qui en sont l’accompagnement possible, ne sont pas perçus simultanément puisque nous ne voyons pas notre cerveau en activité et que personne ne le voit[1]. En ce sens, on peut dire, sans aucune métaphysique et sans vouloir exprimer autre chose que des rapports de phénomènes, que la conscience est un attribut de la matière vivante, et cela ne signifie pas autre chose que le principe de concomitance de M. Flournoy ; il n’y a pas autre chose à chercher, et dans les sciences physiques on ne cherche pas autre chose. Le reste ne constitue pas plus un mystère impénétrable que le problème de l’âge du capitaine. Les questions qui font le désespoir de l’esprit humain, celles qui dépassent la portée non pas de notre intelligence, mais de l’intelligence en général, sont des problèmes mal posés ou des problèmes qu’il n’y a pas lieu de se poser. C’est du moins ce qui arrive le plus souvent.

Fr. Paulhan.

Dr Hans Schmidkunz. Ueber die Abstraction (De l’abstraction), Halle, 1889, chez C. E. M. Pfeffer (R. Stricker) ; 43 pages.

Il s’agit de savoir « en quoi consiste la pensée abstraite, et jusqu’où elle s’étend ». De là deux chapitres.

I. Nature de l’abstraction. — M. S. substitue aux deux théories entre lesquelles jusqu’ici se sont partagés les philosophes, une doctrine nouvelle, qui nous paraît mériter une entière adhésion.

D’après Locke, suivi en cela par Laplace et Lotze, l’abstraction n’est pas autre chose que la généralisation. Une pareille confusion est, suivant M. S., illégitime. Comment arrivons-nous à une idée générale, par exemple à celle de rougeur ? Les choses dont nous extrayons le concept sont non seulement rouges, mais dures ou molles, limpides ou ternes, etc., etc. Le concept général de rougeur comprendra-t-il toutes ces qualités ? Il faut donc que nous ayons, tout d’abord, en chaque cas particulier, séparé le rouge des autres qualités au milieu desquelles il se trouve. Pour passer des choses rouges au rouge en général, il faut que nous ayons préalablement mis à part les rouges particuliers. Entre l’intuition des objets et la généralisation, se place l’abstraction, comme une opération originale.

De là une seconde théorie de l’abstraction. Aristote, saint Thomas, Berkeley, en ce qui concerne les concepts mathématiques ; Lange, pour les constructions logiques, notamment pour celles qui constituent le

  1. J’ai traité ce point un peu plus longuement dans l’Activité mentale et les éléments de l’esprit, p. 516, 524.