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en tendant l’attention du sujet, non point sur les choses qu’on veut lui faire « nier », mais sur des choses toutes différentes. — Ainsi, dans tous les cas, une « négation », suivant le langage de M. S., implique une « position ». L’abstraction doit donc être caractérisée positivement, non pas négativement. On objectera peut-être qu’il est des concepts abstraits, tels que celui de l’infini, qui sont des négations. Mais M. S. n’a pas de peine à répondre que, pour tirer de l’idée d’une chose finie, l’idée d’infini, il faut d’abord abstraire de la chose sa qualité d’être finie : ce qui est un acte positif ; que, pour constituer ensuite l’infini, il suffit, ou bien d’augmenter continuellement le temps, la grandeur, ou l’intensité du fini : ce qui est un procédé positif ; ou bien de nier les limites du fini : ce qui revient à nier une négation.

Il est donc définitivement acquis que l’abstraction est une opération positive de l’esprit. Comment se la représenter ? Elle a besoin de l’attention, mais elle est plus que l’attention. Elle est une élévation d’intensité, mais elle est plus qu’une élévation d’intensité. Supposons un groupe de représentations : a + b + c = d. Faire abstraction de b et de c, en faveur de a, c’est, à ce qu’il semble, obtenir : a = d — (b + c). S’il en était ainsi, b et c seraient conservés tels quels dans la conscience : il n’y aurait pas d’abstraction. D’autre part, la représentation du tout d ne pouvant pas être supprimée purement et simplement, b et c ne peuvent pas être totalement anéantis. Ils subsistent donc à l’état de résidus, soit x ; et la représentation abstraite est, non pas a, mais a + x, ou a. Ainsi les éléments des représentations abstraites sont les mêmes que ceux des représentations concrètes ; ils sont seulement, les uns fortifiés, les autres affaiblis : ce qui amène des groupements nouveaux. On pourrait donc définir l’abstraction suivant M. S., non pas une simple négation, mais la formation de nouveaux groupes de représentations, grâce à l’attention qui, renforçant certains éléments des représentations concrètes, en affaiblit les autres éléments.

II. Limites de l’abstrait. — Il était aisé d’établir ces limites d’après le chapitre précédent. Il ressort tout naturellement de la théorie de M. S. que les idées abstraites et les idées concrètes portent sur la même matière, mais que les premières sont relatives, en premier lieu, aux qualités, et, en second lieu seulement, aux objets, groupes de qualités, tandis que les secondes représentent directement les objets, et indirectement chacune des qualités. À cette démonstration directe M. S. a préféré une voie détournée. Il expose tout d’abord, assez longuement, et il admet comme irréprochable, la théorie de Stuart Mill sur les noms concrets et les noms abstraits ; puis il montre qu’elle s’accorde avec la conclusion du premier chapitre de cet ouvrage.

À la théorie, bien connue de Mill, M. S. n’ajoute qu’un détail. Blancheur, comme on sait, est, pour Mill, un terme abstrait, et blanc un terme concret : le premier désigne une qualité, le second un objet. Mais ne dit-on pas quelquefois : la couleur de la neige est blanche ?