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A. BINET.perceptions d’enfants

qui prouve bien que la confusion dont nous cherchions la vraie nature est une confusion de mots et non de couleurs. Comment, par quel hasard, s’est-il produit un entre-croisement, une sorte de nœud entre les associations verbales du vert et du jaune, nous ne pouvons pas le dire ; mais chacun sait, par expérience personnelle, qu’en cherchant à apprendre des noms d’objets, on commet parfois un quiproquo contre lequel on a ensuite beaucoup de peine à lutter.

Cette cause d’erreur ne doit pas être oubliée, quand on emploie la méthode de M. Preyer. Il ne serait pas exact d’admettre que la difficulté d’apprendre et de retenir un nom est la même pour toutes les couleurs. Ceci n’est exact qu’en théorie ; en pratique, quand une association verbale par hasard s’est mal faite, elle crée un obstacle énorme pour des associations différentes avec le même objet, car il faut commencer par oublier la première pour faire place aux autres.

Interprétation des dessins.

Notre étude des perceptions chez l’enfant resterait tout à fait incomplète si nous n’examinions pas comment un enfant perçoit un dessin, une gravure, une photographie, c’est-à-dire l’imitation d’un objet. Ce sont là des choses fort complexes, plus complexes certainement que la perception d’un poids et d’une longueur, et c’est par convention et habitude que nous ne nous apercevons pas de l’énorme différence qui existe par exemple entre un objet et un dessin à la plume de cet objet.

J’ai eu l’occasion d’observer pour la première fois sur la petite Madeleine, quand elle avait un an et neuf mois, qu’elle reconnaissait avec une grande sûreté des objets familiers dessinés au trait. Ces objets étaient : un chapeau, une bouteille, un verre, une table, une chaise, un parapluie, un bol ; comme le dessin du bol était surmonté par celui d’un nuage de fumée, l’enfant en conclut que le bol contenait du lait chaud.

Je n’ai pas besoin de faire remarquer que pour qu’un enfant reconnaisse un objet dans cinq ou six coups de crayon qui n’en reproduisent que les traits essentiels, il faut non seulement une bonne mémoire des choses visibles, mais une faculté d’identification déjà bien développée[1] : car dans un dessin, il n’y a ni la couleur de

  1. Je ne fais que rapporter ici des observations et des expériences ; mais je ne puis m’empêcher de rappeler que des observations faites sur l’homme sauvage ont conduit à des résultats tout différents.