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Distinction entre le rêve et la vie réelle.

Les enfants retiennent souvent un mot dont ils ne comprennent pas le sens ; ils le répètent parce qu’il a un son qui les amuse, ou parce qu’ils lui donnent un sens nouveau, original, que nous avons souvent de la peine à comprendre. Il est un mot que les deux petites filles que j’étudie ont répété de bonne heure, c’est celui de rêve. « J’ai rêvé ça, disent-elles souvent ; je vais rêver maman ; m’as-tu rêvé ? C’est un rêve ! etc. » Je me suis efforcé de leur faire indiquer, avec autant de précision que possible, l’idée qu’elles se font du rêve. Il est d’observation courante que les enfants rêvent et que le souvenir de ce qu’ils ont rêvé peut réapparaître pendant la journée ; mais l’enfant sait-il qu’il a rêvé ? Quand commence-t-il à s’en apercevoir ? Quand apprend-il à distinguer ce souvenir de ceux de la vie réelle ? Et comment y arrive-t-il ? Savoir qu’on a rêvé la nuit dernière, qu’on est en ce moment bien réveillé, c’est savoir et distinguer le vrai et le faux, la réalité et l’illusion. Comment l’enfant se tire-t-il de cette difficulté-là ?

Pour étudier la question, il faut d’abord avoir la preuve du rêve, et être sûr que lorsqu’un enfant fait le récit d’un événement insolite, c’est un rêve qu’il raconte. Bien souvent, on ne peut rien affirmer. Une des petites filles, la cadette, me raconta un jour, à l’âge de trois ans, un accident qui lui était arrivé. Elle était tombée dans un tonneau où il y avait des grenouilles ; elle avait crié au secours ; mais il n’y avait personne, personne ! Enfin, maman était venue en criant : J’accours ! j’accours ! Ce récit dramatique, débité avec une émotion très sincère, ne correspondait à absolument rien de réel, et plusieurs personnes l’ayant entendu en conclurent que l’enfant racontait un de ses cauchemars. Je n’en suis pas certain. L’imagination peut faire ce que fait le rêve, et il est bien possible que chez l’enfant l’imagination travaille d’une façon silencieuse et inconsciente, et lui donne des visions qu’il prendra pour des réalités.

On ne peut réellement admettre l’existence d’un rêve que si l’enfant en parle le matin, dès son réveil, si sa première parole est pour dire : Je viens de voir telle ou telle chose, et s’il met une certaine émotion dans son récit. Quand en outre, l’enfant a été agité pendant la nuit, quand il a parlé tout haut, sans se réveiller et surtout quand ses paroles s’accordent avec ce qu’il nous raconte une fois éveillé, alors il n’y a plus de doute, c’est bien un rêve.

À quel âge l’enfant commence-t-il à distinguer ses rêves de ses autres souvenirs ? La petite Alice qui a trois ans n’a pas encore pu