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A. BINET.perceptions d’enfants

homme ; la première le représente dans son état naturel ; dans la seconde, il simule la douleur avec une vérité d’expression frappante. Madeleine dit en voyant la seconde photographie : « Sa figure n’est pas belle : on dirait qu’il va pleurer. » L’enfant confond ici la douleur avec les pleurs. Dans la même planche, la photographie 3 représente le front d’une dame qui exprime la douleur ; il y a sur le front de grandes rides rectangulaires ; Madeleine voit bien les rides du front, mais elle ne comprend pas ce que cela veut dire.

La planche 3 donne des exemples d’un sentiment bien connu des enfants, le rire ; aussi a-t-elle été très facilement interprétée. La figure 4 représente une jeune fille souriant. Madeleine dit que c’est une dame qui rit. La figure 2 représente une autre jeune fille qui rit franchement. Madeleine voit bien qu’elle rit. Elle a plus de peine à comprendre la troisième photographie, où une jeune fille sourit très légèrement. Les figures 4, 5 et 6 représentent un vieillard, d’abord dans son état normal, impassible, puis souriant naturellement, et en troisième lieu présentant un sourire artificiel avec les coins de la bouche fortement rétractés par la galvanisation des grands zygomatiques. Pour Madeleine, dans la figure 4, le monsieur est sérieux ; dans la figure 5, le monsieur rit ; dans la figure 6, il rit, et il n’est pas beau.

À la planche 4 deux photographies relatives aux expressions de la colère. La première représente une dame qui a une expression de ricanement, et dont la lèvre supérieure se relève d’un côté et découvre la canine. Madeleine se trompe complètement sur cette expression, car elle trouve que la dame est gentille. Dans la seconde photographie, on voit une petite fille en colère. Madeleine dit que la petite fille est méchante.

La planche 5 n’a pas été bien interprétée. Pour un portrait de jeune fille exprimant le mépris, Madeleine trouve simplement que c’est une dame qui dort ; l’erreur vient de ce que la personne ferme à demi les yeux. Deux portraits d’hommes exprimant le dégoût ne sont pas mieux compris. Ce sont, dit Madeleine, des messieurs qui pleurent.

Enfin, terminons par la planche 6 qui contient des expressions de colère et des expressions de résignation. L’homme qui représente la colère regarde à sa droite. C’est la direction de son regard qui seule frappe Madeleine. « Il regarde par là », dit-elle. Les expressions de résignation provoquent chez elle un commentaire curieux : « C’est un monsieur qui dit : Tiens ! j’avais mis quelque chose là, et puis je ne le trouve plus. Peut-être un voleur me l’a pris. »

En résumé, Madeleine ne paraît interpréter avec exactitude et sûreté que le rire et les pleurs.