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REVUE GÉNÉRALE.histoire et philosophie religieuses

dans sa propre estime, l’objet immédiat de ses travaux ; peu s’en faut qu’il ne nous déclare la banqueroute du judaïsme et de son successeur, le christianisme, au profit de la libre pensée, fille de la Grèce. M. Havet, de son côté, parti visiblement d’un point de vue philosophique hostile au christianisme et à la Bible, a entrepris de mettre en lumière tout ce dont la civilisation moderne est redevable à l’antiquité classique et, obligé par son propos d’aborder le judaïsme, il a fini par lui faire une part grande et éminente, qu’il n’avait pas soupçonnée dans le début.

Quel que soit, d’ailleurs, le jugement à porter sur l’avenir des sociétés religieuses en général et du christianisme en particulier, il importe que nous recherchions si M. Renan a défini exactement les caractères et les origines de la religion juive.

Sous ce rapport, il ne faut pas craindre d’avouer que l’Histoire du peuple d’Israël contient des assertions d’un caractère très personnel et très risqué. L’auteur s’en étant expliqué lui-même avec une grande franchise, je ne vois pas pourquoi la critique hésiterait à se prononcer sur le caractère des hypothèses relatives à la période primitive du judaïsme. Il a été dit plus haut que la religion Israélite a trouvé son expression dans les livres prophétiques, mais que les prophètes n’ont fait que rendre leur éclat aux traditions de l’âge patriarcal, aux croyances d’un Abraham, d’un Isaac, d’un Jacob, que l’on considère ceux-ci comme des personnages réels ou plutôt comme des personnifications d’un groupe de nomades et de pasteurs. Donc, avant le séjour des Hébreux en Égypte, au temps où leurs ancêtres menaient la vie de bergers sur le territoire de Chanaan, soit vingt siècles environ avant l’ère chrétienne, les traits essentiels de la religion juive apparaissent déjà. « Rien dans l’histoire d’Israël, déclare M. Renan, n’est explicable sans l’âge patriarcal. L’âge patriarcal, comme toutes les enfances, se perd dans la nuit ; mais le devoir de l’historien, chercheur de causes, est de démêler ces ténèbres en s’aidant de la psychologie autant que de la philologie. — L’âge patriarcal a existé. Il existe ainsi dans les pays où la vie arabe nomade a conservé sa pureté. » L’auteur ne dissimule point, d’ailleurs, que pour toute la période antérieure à David, sa restitution des idées dogmatiques offre un caractère conjectural.

Voyons la chose d’un peu plus près. L’état d’esprit de l’époque patriarcale est venu à notre connaissance par la Genèse, « prise non comme un livre historique, mais comme la peinture idéalisée d’un âge qui a existé », et par le livre de Job. Or, ni l’un ni l’autre de ces livres ne remontant au delà du ixe siècle d’après M. Renan, on mesure sans peine l’héroïque sacrifice qu’il exige de notre bonne volonté. Prétendre refaire l’histoire des idées au moyen d’écrits rédigés à douze siècles de distance des événements, est un acte de témérité et de vaillance fait pour jeter le trouble dans les esprits plutôt que pour les convaincre et les asseoir.

La religion primitive d’Israël n’est pas tout à fait le monothéisme rigoureux des musulmans ; c’est un « déisme sans métaphysique ». —